Wright utilise une idée formelle assez intéressante dans son adaptation d'Anna Karénine: il varie le niveau de facticité de sa fiction au fil du récit. On est donc régulièrement quelque part entre The Baby of Mâcon, Dogville et Hitler: Ein Film aus Deutschland. Un lieu unique, une salle de spectacle et ses cintres servant de décors pour tous ce qui a rapport à l'urbain alors que le plein air est dévolu au rural. Le problème, c'est que non seulement cela induit un déséquilibre dans le film, mais en plus la verve de Wright qui ficelle des plans-séquences alambiqués avec moultes éléments mobiles dans le premier tiers du film se calme passablement par la suite. Ça se corse encore quand on réalise qu'il y a tellement d'entorses à se qui semble être la règle formelle, qu'on se demande se qui se passe. Ainsi, l'appartement de Karénine est dans le décors unique au début du film, mais semble devenir un lieu propre par la suite. La gare de Moscou, la salle du conseil des ministres ou encore l'appartement du frère de Vronsky semblent également être des lieux propres... tout cela est peu clair. La bonne nouvelle c'est que ce cadre à la fois élaboré et confus ne perturbe pas une brochette d'acteurs excellents. Mention spéciale, une fois de plus, à l'extraordinaire expressivité du visage de Keira Knightley. Je pense par exemple au moment où Anna retourne dans le train après avoir vainement tenté de faire rebrousser chemin à Vronsky: on lit sur elle la colère face à la goujaterie de son prétendant, puis la fière satisfaction d'être ainsi courtisée et enfin un voile de mauvaise conscience s'abat sur ses traits. Tout celà en peut-être trois secondes. Hallucinant. Inculte que je suis, je suis bien incapable de jauger les choix qui ont étés fait dans l'adaptation du texte original. Ce qui est certain, c'est que le contexte social et les enjeux qu'il implique sur le récit sont passablement datés. Bien que le film tente de les expliquer, la distance est telle qu'elle rend difficile la compréhension des actions de certains personnages et finalement le discours du film sur le monde qu'il représente et les personnages qu'il y fait évoluer. L'hypocrisie et la cruauté de la bonne société russe est critiquée, mais en va-t-il de même des valeurs qui la sous-tendent? Le couple Kitty-Lévine, présenté comme model positif, n'est pas exactement le plus progressiste qui soit (magnifique Kitty tout de même quand elle lave le corps du frère!). Enfin... voilà, voilà... de toute façon s'était déjà bloqué à trois étoiles pour la scène de danse. |
2,5 je pousse à trois pour l'audace du début et pour Keira. En revanche le film rate son Vronski et le virage vers le dramatique. |
Cela m'a vraiment beaucoup plu: la métaphore théâtrale sert admirablement le portrait acerbe de cette classe complètement close sur elle-même, engoncée dans la rigidité de ses codes et aveuglée par la contemplation extatique de son propre spectacle. La scène de la mort du personnage d'Anna est exemplaire de l'attachement du film pour cette figure révolutionnaire, puisqu'elle la montre prise entre cette société immobiliste (et immobilisée), qui plus est logée dans les coulisses du théâtre d'où elle a le loisir de tirer les ficelles, et le train de sa modernité, dont la lancée inaltérable ne peut en l'état que lui être fatale. Mais sa mort n'en demeure pas moins le germe d'une évolution, d'une interpénétration justement entre nature et culture, élan et raison: le paysan prenant conscience du rôle de la rationalité de le choix de sa compagne ET l'irruption de l'herbe et des fougères sur la scène du théâtre. Une note d'espoir pour ne pas tomber dans un romantisme confondant: la classe! |