Film: The Zone of Interest

Laurent (VU) a dit:
Difficile de ne pas être impressionné par une telle exigence formelle et intelligence dans l'approche de ce cas, d'une manière à la fois indirecte et plus générale.

L'une des critiques les plus radicales des mécanismes de l'embourgeoisement dans notre monde rationaliste-industriel-capitaliste que le cinéma nous ait jamais offerts.



Robert () a dit:
Oui, mais le fim perd aussi une certaine force lorsqu'il oublie que son personnage principal devrait être cette maison et ce jardin, et que cela lui impose dès lors une unité de lieu absolue, troublée uniquement par un terrible hors-champs sonore. Le film aurait alors pu vraiment s'appeler Printemps, été, automne, hiver dans le jardin d'Auschwitz.

Un peu de peine aussi avec les scènes onirico-fantastiques qui nous rappellent que nous sommes dans un film de Glazer, malheureusement.



Frederico () a dit:
Il faut quand même une maestria étonnante pour nous tenir en haleine en faisant tout à la fois tellement et si peu.

PS: Signalons aussi qu'il adapte un roman mais au final on ne sait pas pourquoi il paie les droits car il élimine toute la matière romanesque pour ne garder que ce qui l'intéresse.


Vincent () a dit:
D'accord avec Rob pour la question de l'unité de lieu, le film aurait été plus fort si l'on était resté étroitement attaché à l'aire délimitée par la maison et son magnifique jardin – même si les scènes du côté de la rivière sont significatives, notamment celle où des monceaux de cendres occupent soudain le cadre idyllique.

Les scènes oniriques détonnent, elles aussi. Mais pour moi elles vont de pair avec le contrepoint proposé par les contes de fées racontés simultanément par le père, qui évoquent des ogres et des fours... alors qu'on voit une résistance s'affairer dans la nuit, avec ses maigres moyens. L'image en négatif me paraît suggérer précisément une inversion – quand on raconte le conte, on se place du côté de Hansel et Graetel, par exemple, alors que là ce sont les résistants locaux qui incarnent ces figures.


Laurent (VU) a dit:
Je défendrai pour ma part cet élargissement graduel de l'espace, le plus important n'étant pas au fond le lieu lui-même

(qu'il faut entendre, d'ailleurs, et dès le début, au sens large, avec les champs alentour, la forêt, les chemins, le bord de la rivière, etc., bref tout ce Lebensraum que s'approprient ces pionniers-colons du Reich, fantasmagorie qui refoule dans le hors champ l'infrastructure industrielle de production, fondée sur l'exploitation et la liquidation des corps réduits au mieux à une force de travail)

pas tant cet espace, donc, que ce qu'il incarne dans l'esprit des deux membres de la famille. Si la mère refuse de quitter les lieux, sa réussite sociale leur étant consubstantielle, le père se doit d'arpenter aussi (et de nous donner à voir) les mornes sphères qui le conditionnent et lui donnent sa légitimité, ces réunions bureaucratiques ou ces fêtes élitaires où tout se décide. Le danger, en restant dans la propriété, aurait été de la fétichiser comme le fait la mère – et, de nos jours, le musée local, dénué de toute vie et de toute perspective historique. Notre point de vue ne pourrait s'en contenter.

Enfin, quant aux séquences nocturnes avec la gamine au vélo, elle permet, rappelons-le, la seule expression articulée, via le poème retrouvé, d'un interné du camp, probablement une source historique. Celle-ci est plus vivante que le musée puisqu'elle nous parvient, à travers quelques notes de piano (infra-verbales, qui résonnent énigmatiquement dans la maison) et des sous-titres qui ne s'adressent qu'à nous). Là encore, la nécessité d'un autre point de vue, salutaire à défaut d'être rédempteur.



Robert () a dit:
Revoir le film dans de bonnes dispositions m'a permis d'apprécier toute la pertinence du point de vue développé par Laurent.
Le making-of du film permet de comprendre le dispositif de filmage assez unique mis en place par Glazer, à savoir un effacement de la présence de l'équipe de tournage de la propriété avec des caméra "cachées" dans celle-ci tournant en mode automatique, le tout supervisé au sous-sol par le réalisateur, comme pour se mettre à distance pour mieux capter la déshumanisation à l’œuvre devant les objectifs.