Le festival Black Movie édition 2024 (19 au 28 janvier) a un programme assez alléchant: le dernier Radu Jude, le dernier Shinya Tsukamoto, deux Wang Bing récents, une fournée de Tsai Ming Liang et un florilège de films taiwanais anciens et récents (Dragon Inn mais aussi une étrangeté de l'assistant de King Hu : A City Called Dragon). |
Quelques trucs notables: Bauryna Salu Un film kazakh semi autobiographique sur une coutume qui consiste en ce qu'un couple donne leur premier né aux grands parents si ils s'installent loin de la famille. En pratique, tranches de vie d'un jeune garçon. Une première partie entre travaux domestiques et petits boulots une deuxième, de retour avec ses parents, école et acclimatation difficile. Pas particulièrement palpitant, mais on est scotché du début à la fin par la beauté du film fait de long plans caméra au poing qui circulent avec les personnages. Il y a un passage avec un plan très large du village dans la neige avec des enfants qui font de la luge et des paysans qui s'affairent on dirait du Brueghel l'Ancien! Do Not Expect Too Much from the End of the World Le nouveau Radu Jude est, comme son précédent, un film qui ne ressemble à rien et qui brasse presque trois heures durant un mélange de vitriol et de gaz hilarant. Dans une première partie, Angela, assistante sur un tournage d'un film d'entreprise sur le respect des normes de sécurité sillonne Bucarest pour rencontrer de potentiels intervenants (des ouvriers accidentés). Ce périple est émaillé d'extraits d'un film des années 80 (Angela poursuit sa route - film sur une conductrice de Taxi), créant contrastes et parallèles ainsi que des vidéos parodiques d'Angela sur tik-tok ou à l'aide d'un filtre boosté à l'AI elle prend le rôle d'un masculiniste outrancier (pléonasme?) - NB: je crois que ce style de tik-tok est une création de l'actrice qui précède le film? La deuxième partie est le tournage du film, un plan fixe (en fait deux, mais la coupe ne se cache pas) fait des tractations entre représentant du commanditaire, réalisateur, techniciens et l'ouvrier accidenté et sa famille. On oscille trois heures durant entre rire, gène et incrédulité! La mère de tous les mensonges Un film-essai d'une puissance et d'une originalité étonnante. La réalisatrice convie sa grand-mère et les colocataires de sa jeunesse dans un atelier où ses parents ont construit une réplique de leur quartier d'enfance (à Casablanca sauf erreur) et des figurines représentant toutes les personnes d'alors. Dans ce contexte, on tente de mettre au jour des vérités tues durant des décennies, autant au niveau familiale qu'au niveau historiques (années de plomb durant le règne d'Hassan II). Quelque part entre Dogville et S21! Evil Does Not Exist Le nouveau Ryusuke "Drive My Car" Hamaguchi. On change de registre avec un film champêtre sur un homme à tout faire qui vit avec sa fille alors qu'un société veut installer dans le village un site de Glamping (version confortable et bobo du camping). Le film a beaucoup de charme dans son rythme particulier de balade dans la forêt hivernale et ne manque pas d'une certaine drôlerie dans le choc des cultures, mais, de façon incompréhensible le final du film opte pour une bouillie cryptique. C'est peut-être des choses qui arrivent quand ce qui devait être un court métrage pour accompagner un concert se mue en long métrage de fiction. Shadow of Fire À l'inverse, le dernier Shinya Tsukamoto vaut surtout pour sa partie finale. 90% du métrage est un huis clos poisseux dans un snack bar dans laquelle la tenancière-prostituée, un soldat incapable de retrouver la vie normale et un orphelin de guerre tente pour un instant de former un semblant de famille dans les ruines fumantes après la capitulation. Mais un final cauchemardesque qui voit l'orphelin explorer un mouroir à soldats SDF puis une lueur d'espoir alors qu'il trouve un petit boulot, relève le niveau global. A Holy Family Documentaire Taiwanais. Le réalisateur fait plusieurs voyages dans sa ville natale pour filmer sa famille engluée dans la poisse alors même qu'ils abritent un large autel voué à toutes sortes de divinités avec lesquelles son frère peut communiquer. En plus d'être médium, le frère est aussi agriculteur et un contraste fort se crée en le père, bon à rien qui dilapide tout l'argent de la famille en tickets de loterie, et le frère qui travaille d'arrache-pied mais qui voit ses efforts ruinés par les intempéries. Entre eux, la mère, dont la déprime prend une forme atrabilaire. Je spoile car c'est un film a priori impossible à voir, mais quand la production de tomates cherry du frère trouve un bon prix après qu'on l'ait vu une heure durant manger tartine de merde sur tartine de merde on atteint un pic d'empathie comme rarement connu. YES! Let's go! J'ai choppé la crève en fin de semaine, donc je n'ai pas vu Days, le dernier Tsai Ming Liang (mais quand on voit sa production de courts récente, on peine à se motiver) ni le documentaire de Wang Bing sur la jeunesse chinoise dans l'industrie textile (film sorti en salle en France - vu par Laurent?). Sinon, les films récents aussi vu mais moins notables: The Red Suitcase (proto-Weerasethakul népalais un peu chiant) Tommorrow Is A Long Time (incommunicabilité familiale à Taïwan dans sa première moitié, puis soldat dans la jungle dans la deuxième, mais sans puissance mystico-plastique) Tatami (judoka irannienne aux championnat du monde qui refuse de déclarer forfait quand sa fédération voit qu'elle risque d'affronter une athlète israélienne - co-réalisation d'expat' israléo-iraniens) Mad Fate (comédie noire hong-kongaise sur le destin et la possession, quelques bons passage, mais surtout bruyant et gesticulant) Ohong Village (retour du fils prodigue dans l'ostréiculture taïwanaise, pas palpitant mais facture étonnante car tourné en 16mm) Raydio (incommunicabilité familiale à Taïwan... zzzz) Critical Zone (errance d'un dealer dans la nuit de Téhéran un peu sur le mode de la comédie neurasténique mais on sourit deux fois en 1h40 - incompréhensible Léopard d'Or à Locarno) Celluloid Underground (documentaire qui fait le portait d'un iranien qui collectionnais les copies de film pour ne pas qu'elles soient détruites après la révolution islamique - 2 problèmes, le bonhomme était fasciné par le cinéma américain, donc ça n'a pratiquement aucune valeur patrimoniale, le docu est fait depuis l'Angleterre après la mort du collectionneur, donc aucune image des potentielles trésors de sa collection) Animal (blues d'une animatrice d'hôtel sur une île grecque) Gaga (élections dans une communauté indigène de Taïwan, intéressant mais à fleuret moucheté) Le cimetière de la pellicule (un cinéaste guinéen part à la recherche d'un légendaire premier film tourné par des africains, Mouramani, qui apparait sous différentes descriptions dans des anthologies - cette quête est plutôt un prétexte pour rencontrer divers acteurs présents et passé du cinéma national. Le sujet est bien en soi, mais le réalisateur ne résiste pas à des artifices de petits malins qui sont rarement productifs) Ripples (japon: retour d'un mari disparu alors que l'épouse est tombée dans les rets d'une organisation sectaire. Traité sur le mode de la comédie. Pas mal mais rien de spécial) Cobweb (film coréen sur un tournage dans les années 70: le réalisateur obtient quelques jours de plateau supplémentaires pour changer la fin de son dernier film, mais... il lui manque l'aval de la commission de censure. Comédie rocambolesque mais pas totalement aboutie, sans compter que des wagons de références nous passent par-dessus la tête) |