Film: A Hidden Life

Jean-Luc () a dit:
Le dernier Malick, qu'on a décidé de mettre sur le site 2020.
Probablement son meilleur film depuis New World ou la meilleure partie de Tree of Life. Quelques bémols quand même: la longueur, l'abus de grands angles, ainsi qu'un propos trop orienté sur la religion à mon goût. Encore plus gênant, je n'arrive pas à comprendre que TM n'ait pas eu l'audace de tourner le film en allemand, ceci d'autant plus que la quasi intégralité du cast est germanophone. Cela crée des décalages un peu ridicules entre voix off en anglais et dialogues en allemand.

PS: la Main noire peut-elle rapatrier le commentaire de Laurent, merci.
PPS: j'ai par erreur mis une deuxième entrée pour le film sur le site 2019, sorry.
PPPS: je peux prêter le bluray aux intéressés.


Laurent (VU) a dit:
(Note de La Main Noire : Commentaire de Laurent posté en 2019)

Difficile de faire la fine bouche devant trois heures de Terrence Malick projeté sur un écran gigantesque (les Halles le montrent dans l'une de leurs plus grandes salles, dès lors quasi vide, même pour la séance de 20h). Enfin débarrassé de son univers californien-élitaire un peu crétin, qui plombait tous ses derniers films, Malick revient aux êtres élémentaires et déterminés, en restant du début jusqu'à la fin focalisé sur les mêmes personnages, un couple de paysans autrichiens pendant la Seconde guerre mondiale, personnages réels, fervents catholiques dont l'un des deux, l'homme, sera condamné par le régime nazi pour son refus de prêter serment à Hitler. Images stupéfiantes de ce village de montagne, qu'il s'agisse des fermes, moulins, ruelles ou des cimes elles-mêmes; sans cesse arpentées par ces figures humaines dédiées aux activités essentielles de la vie simple (travail et jeux).

Alors, oui, le film ressemble exactement à ce que l'on attend : on ne compte plus les retours incessants sur les petites gamines suivies en grand angle qui batifolent dans les prés, les minauderies entre amants (on ne baise jamais chez Malick, préférant se courir après dans les champs ou jouer à cache cache), ces montages discontinus de cadres mobiles sur fond de voix détachées et sentencieuses (ici travaillées, tout de même, plus intensément que dans les affectations récentes du même cinéaste puisque toutes tirées, semble-t-il, de la correspondance du couple; il y a aussi un jeu plus subtil qu'il n'y paraît entre l'anglais – a priori choix regrettable – et l'allemand, d'abord réservé aux interactions extérieures brutales, celles où le logos ne joue aucun rôle, avec les autres membres du village, mais qui finit par l'emporter vers la fin aussi dans la voix over).
Au début le discours, ancré dans l'opposition entre "good" et "evil" peut tout de même sembler très, trop naïf et le caractère répétitif des mêmes situations, actions, peut lasser. Mais peu à peu un rythme véritablement puissant s'extrait de ce film, à la fois par la manière dont la spiritualité s'incarne en quelque sorte dans l'énergie même qui circule au travers des mouvements de caméra, et surtout par la trajectoire opiniâtre du héros qui est comme rehaussée par les vaines tentatives de ceux qui l'entourent pour lui faire entendre raison (le maire, notamment, le curé, l'évêque, mais aussi les émissaires successifs que le régime lui envoie pour le convaincre de renoncer, puis son avocat, et même le juge nazi).

Au fond, c'est surtout cela qui permet au film de dépasser son statut de beau livre d'images romantiques (au sens profond du terme : panthéisme, musicalité, correspondances, mythe, etc.) un peu creux, voire con-con (puisqu'aux antipodes de toute lecture critique des systèmes politiques, sociaux, culturels) : le conflit n'est pas tellement celui d'un homme inexorablement écrasé par un système d'oppression (ici, tout le monde essaie au contraire de le sauver), mais plutôt du refus de tout compromis en regard de la trahison que celui-ci impliquerait vis-à-vis d'idéaux spirituels sans lesquels la vie n'aurait pas de sens.
Marrant de voir comment ce motif (un héros qui s'obstine dans une décision alors que le monde autour de lui, plus conciliant qu'il n'y paraît, lui offre constamment des portes de sortie) apparaît dans plusieurs films contemporains : Girl et, plus proche du même sujet, Leave No Trace).

Reste un dernier point : la musique. Score quelconque, hollywoodo-soupasse de James Newton Howard, qui renforce le caractère quasi-publicitaire de certains enchaînements audio-visuels, mais aussi des sommets dans l'usage des musiques préexistantes (de Bach à Gorecki) qui clouent littéralement le cinéphile-esthète sur place. Je pense plus particulièrement aux deux séquences couvertes par le "Tabula rasa" d'Arvo Pärt (vers le milieu du film, près d'un moulin; à la fin), qui touchent au sublime.