Film: Seules les bêtes

Vincent () a dit:
Peut-être que je surnote un peu. Polar intrigant, pas dans sa dimension d'enquête ou de thriller (c'en n'est pas un), mais dans sa dimension réflexive sur les enjeux de pouvoir qui se répercutent sur nos vies intimes. Tout se passe dans des cadres originaux – une région perdue de France, des quartiers pauvres d'Abidjan –, pour montrer des rapports de force basés sur l'argent qui interfèrent avec la soif un peu désespérée et illusoire d'affection, pour des personnages qui se racontent tous peu ou prou une fiction idéale. Ou comment les mirages d'idéal amoureux sont alimentés et/ou grignotés par la circulation de papier monnaie – jusqu'à des situations dramatiques (un meurtre).


Laurent (VU) a dit:
On le met en 2019 ou en 2020 alors?


Vincent () a dit:
Ben je dirais 2020: il vient de sortir en salles à Lausanne.


Laurent (VU) a dit:
Je me permets alors de remettre mon commentaire de l'an passé…

Le nouveau Dominik Moll, maître du thriller psychologique (Harry, un ami qui vous veut du bien; Lemming) qui revient à son genre de prédilection après d'étranges digressions (Le Moine, adaptation du fameux roman gothique; Des nouvelles de la planète Mars, farce bizarre avec le duo Damiens/Macaigne) – en faisant le point, c'est quand même une belle filmo pour l'instant, qui donne envie d'aller voir du côté des séries qu'il a réalisées : Eden et Tunnel…
Ce polar situé dans les paysages enneigés de la campagne française est l'adaptation d'un roman noir (a priori réputé) de Colin Niel. Moll en reprend visiblement le dispositif narratif en focalisations changeantes (la vision de la même histoire, les mêmes événements, perçus par un nouveau personnage à chaque fois). On peut s'en féliciter (sentiment assez génial de revoir les mêmes scènes, mais sous d'autres points de vues), mais aussi regretter que tout cela serve un récit au fond assez banal (n'en déplaise aux formalistes russes pour lesquels le "sujet" devait toujours l'emporter sur la "fabula"). Même si, au fond, l'ironie apportée par la partie africaine du récit peut se comprendre comme une perspective critique sur les rapports Nord/Sud de l'époque mondialisée et le rôle pervers qu'y jouent les technologies de communication en réseau.

Beau sens du casting aussi : gravitant autour du personnage incarné par Bruni-Tedeschi (à la fois central et "objectivé" comme figure de la grande "bourgeoise bohême") on retrouve dans ce film le top des seconds rôles du cinéma français actuel : Laure Calamy, Denis Ménochet et, surtout, l'extraordinaire Damien Bonnard dont la gueule de faux ahuri populaire s'impose vraiment partout en ce moment, s'extrayant du cinéma d'auteur pointu (Guiraudie, Vernier, Ossang) pour toucher un plus large public (il est la tête d'affiche des Misérables, on le voit aussi dans J'Accuse, mais là il y a tout le monde…)