Sur bande-annonce, ce film Noir avec un investigateur qui souffre de troubles mentaux dont un des symptômes et une sorte de mélange entre coprolalie (éructation involontaire d’obscénités) et écholalie (répétition des fin de phrases des interlocuteurs) semblait un peu lourdingue, mais il s'avère que c'est une plaisante surprise. La formule est des plus classique (personnage plongé dans une situation criminallo-politique des plus cryptique et qui se débat pour un peu de justice et de sens), mais finalement il n'y a pas abondance de ce type de trame (de mémoire récente, je ne vois que la 2ème saison de True Detective, le jeu vidéo L.A. Noire ou, sur un mode de comédie, Inherent Vice). Il y a plusieurs passages obligés qui sont très bien négociés (Alec Baldwin dont on craint initiallement qu'il rejoue le Trump qu'il fait pour Saturday Night Live livre deux bons monologues sur la construction et le pouvoir) et les tics et obsessions du personnage principal servent la trame et sont mis astucieusement en lien avec le jazz (joli second rôle de Michael Kenneth "Omar" Williams en trompettiste). Après, certaines scènes sont super louches en terme de photo (contre-coup d'un film a très petit budget?) et le secret/McGuffin/grain de sable dans le grand plan des bad guys est, comme trop souvent dans ce genre de récit, à la fois l'élément moteur des événements et quelque chose qui semble anecdotique une fois qu'il est révélé. Le film ne fait peut-être pas un très bon boulot pour nous faire comprendre comment le grain de sable peut véritablement mettre en péril une mécanique criminelle présentée comme toute-puissante. |
Complètement d'accord sur les défauts évidents comme les qualités incontestables. Un film velléitaire (écrit, réalisé, joué par Ed Norton en y croyant visiblement à fond) qui tente beaucoup de choses, mais souffre par moments, et de plus en plus, de ses minces ressorts dramaturgiques. Jusqu'à tomber dans (assumer?) un ton incroyablement mélodramatique. On n'est vraiment pas loin du Joker en retrouvant le motif du vil capitaliste/mauvais père qui domine Gotham, quoique ici travaillé plus en profondeur avec des aspects contemporains, mi-Trump (oui les premières allocutions de Baldwin, c'est tout droit tiré du SNL, moins après), mi-Weinstein/DSK, etc., tout en renvoyant à ces démiurges affairistes représentants d'un "pouvoir profond" qu'on a eu au cinéma depuis Chinatown au moins, et qui ont été popularisés par les cycles d'Ellroy, y compris sur les écrans. Bref un univers 40s-50s revisité par la politique "conspirationniste" des 70s, et qui a connu sa dernière relecture majeure dans les années 90 (le néo-noir). J'ai adoré l'idée du syndrome de Tourette dont est affligé le héros, très bien rendu et interprété malgré les risques que cela comportait (répétitivité notamment, il ne cesse de s'excuser), et, en général tout ce qui a trait à la musique dans ce film. Il y a énormément de choses, dès l'attente, puis poursuite en voiture initiale, rythmée par un drumset jazz (l'entame est formidable), puis dans le club avec les échos entre la virtuosité bop du simili-Miles Davis incarné par le mec de The Wire et les décrochages voco-cérébraux du héros – analysée par le jazzman qui y reconnaît une forme de génie proche du sien (!) dans un dialogue suivant; ou encore l'excellent montage alterné entre un autre concert dans le club et le grand last-minute rescue final. Il y aussi, de manière plus générale, une partition symphonique jazz qui emprunte à diverses sources (le Goldsmith de Chinatown, Taxi Driver…) tout en voisinant stylistiquement et mélodiquement avec les deux occurrences de la troublante chanson composée et interprétée par Thom Yorke pour le film. D'ailleurs, toute la musique est, comme dans les interventions de cette chanson au son très diégétique (on a l'impression qu'il est là, dans l'espace près des personnages, à cause de la prise de son et la fragilité caractéristique de son interprétation), tout le temps mise en avant jusqu'à finir par s'affirmer par le biais de l'image elle-même (le grand montage final précité, où l'on voit littéralement cette batterie, cette trompette dont les sonorités baignent tout le film). Je note aussi la puissance lyrique des deux passages où le thème principal est joué au sax soprano, c'est-à-dire lors des deux scènes qui insistent sur la relation du héros à la belle activiste politique dont il s'éprend. Pas mal de nostalgie aussi dans le plaisir que l'on peut retirer d'un tel film, qui lorgne du côté du cinéma classique hollywoodien comme très peu de ses contemporains. |
2,5 |
Marrant comme le titre français, faussement "original" par son recours à l'anglais, se borne à jouer sur l'ambiguïté du mot "affair" entre aventure extra-conjugale et business, là où le titre US-international, moins raffiné mais mieux trempé, va directement à l'analyse socio-politique (non sans un certain pseudo-féminisme bon teint à l'ancienne, c'est-à-dire essentialiste, sur le mode vieillot et décrié par les féministes de gauche : "ah, si on avait plus de femmes au pouvoir!"). |
2,5 plus. Pareil, le film m'a à la fois emballé par plusieurs moments d'une rare beauté – et, comme toi Laurent, ce sont notamment les scènes portées par le jazz que je retiens (le sauvetage final... ou comment des plans sur un concert peuvent devenir des points de tension dramatique, dans une séquence où finalement les deux "lignes" se rejoignent, puisque les héros sont SPOILER sauvés par les membres du jazz band) –, et brusquement ennuyé par d'autres séquences plates voire laides. Le problème du film tient peut-être aussi dans cette idée très originale – et qui contribue donc aussi à la qualité de l'objet – d'avoir un héros qui "décroche" systématiquement du ton attendu, à cause du syndrome dont il est atteint. Impossible de faire monter un effroi ou une tristesse ou une joie, dès lors que toute émotion trop forte déclenche chez ce personnage une irruption de verbe en disharmonie avec la situation. De fait, le spectateur lui-même ne peut s'immerger dans les atmosphères émotionnelles, il demeure à distance. Brechtien, non? Ce procédé m'a fasciné parce qu'il apporte une strate supplémentaire au film, presque métanarrative (entre autres parce que cela résonne aussi explicitement avec le discours sur les nouvelles formes musicales émergentes dans les années 1950, des formes qui par essence sont en rupture, sont dérangeantes, disharmonieuses), et simultanément embarrassé (parce que j'aurai aimé parfois entrer dans la couche émotionnelle de la trame narrative). |
Frederico, tu tisses toi-même une sorte de parallèle entre ce film et "Knives out", et à mon sens il y a en effet matière à le faire. Ce sont deux films qui jouent ostensiblement avec les codes du récit policier – et ses deux macro-sous-genres, le roman à énigme d'une part, et le roman noir de l'autre –, mais l'un le fait de façon peut-être un poil trop caricaturale (Craig en parodie de Poirot/Clouseau, empilements de complots possibles dont la plupart sont rapidement éventés, évocation jusque dans l'affiche du jeu Cluedo, etc.), et l'autre de façon plus fine, plus cérébrale presque, avec ce personnage d'enquêteur qui, par son trouble, se retrouve en "déphasage" avec le script émotionnel typique du récit noir (et en même temps en phase: il souhaite venger son ami et père de substitution, il tombe amoureux de la femme au centre de l'intrigue, etc.). La séquence dans la gare (très belle aussi trouvé-je) m'a elle aussi donné ce sentiment de dimension ludique avec les codes du noir: jeu sur les éclairages, sur les attitudes des autres usagers, sur la géométrie du décor... Sans toutefois sombrer dans la caricature. |
2,5 +, tout pareil: film rare, singulier, déroutant dans sa reconduite décalée des codes, mais aussi de faible intensité narrative et émotionnelle, avec une photo trop contemporaine (mais ce n'est malheureusement pas Public Enemies non plus) |