Etonnant passage à une forme (un peu plus) mainstream pour Pietro Marcello, auteur d'extraordinaires films-essais mêlant poésie, fiction et éléments documentaires et jouant constamment de l'ambiguïté troublante des images qu'il présente. Après "Bocca di Lupo » (un fabuleux repris de justice à la voix éraillée et aux allures d'acteur vintage, déambulant dans les quartiers populaires de Genoa, où il vend des pastèques, et vit une singulière histoire d’amour) et "Bella e perduta » (alternant entre les aventures d’un Pulcinella traversant la Campanie flanqué d’un buffle; et le portrait – dont je ne sais toujours pas s'il est réel – d’un berger ayant décidé de se muer en gardien fanatique d'un palais en ruines et qui finit par se faire assassiner…), voici donc… une adaptation de Jack London! On y retrouve l’acteur du dernier film des Taviani, "Una questione privata" dans le rôle du héros, jeune homme sans éducation bien décidé à devenir écrivain et sa compromission temporaire avec une classe bourgeoise qui ne cessera jamais de le mépriser; monde dont il ne parviendra à s’émanciper qu'en suivant l'exemple tragique d'un étrange (anti-)mentor…
Le film réalise un vrai tour de force en faisant alterner des moments "classiques", dialogues, centrés sur le protagoniste et ses rencontres, tous magnifiquement interprétés (coup de cœur personnel pour les deux vieux brocanteurs!) et d’autres situations plus « épiques" (scènes de rues, majoritairement liées à la ville de Napoli, mais aussi de navigation…) qui recourent à des images d’archives tirées de périodes diverses. En ressort une envoûtante superposition de strates temporelles. A priori, vu les costumes, les véhicules, nous sommes dans les années 1960-1970, mais mêlées à d'autres sources (de véritables films muets à des reconstitutions avec des comédiens, des maquettes, mais trafiquées pour qu’elles ressemblent à du found footage). Bref, un objet singulier mais qui ne met jamais à mal son récit, tout en dynamisant celui-ci avec son montage superbement inventif et rythmé! Ainsi un merveilleux plan leitmotiv de deux gamins dansant le twist dans une sorte de garage…
Les deux précédents films ayant été présentés à Lausanne (Cinémathèque – qui sont très fans de Marcello; et je crois City Club), ce nouvel opus troublant devrait aussi sortir sur les bords du Léman! Ne le manquez pas!
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