Pendant une nuit (et deux heures de projection), trois nobles et leurs serviteurs – des libertins en cavale – s'adonnent dans une forêt à des jeux sexuels (et beaucoup, beaucoup de voyeurisme, une bonne moitié des plans du film consistant en des types matant les autres depuis leurs fourrés). Voilà. Il y a de tout, je vous passe les détails… La photo est à tomber par terre, contrastes lumineux, visages enfarinés et emperruqués, entre grotesque et sublime, lents surgissements de présences, etc. rien à dire de ce point de vue-là. Les quelques scènes de dialogue dans les voitures à porteurs, plutôt situées dans les parties liminaires du film, offrent de rares moments réussis de signification explicite. Le début est vraiment classe, avec un long récit chargé d'images saisissantes et non dénué d'une dimension spectaculaire, uniquement pris en charge par le discours oral de l'un des protagonistes; on nous refera le coup avec les fantasmes que suscitent les projets d'un enlèvement des jeunes novices d'un couvent; ou vers la fin avec une sorte de jeu-dialogue dont le but semble de surenchérir dans l'imagination du scénario d'une future débauche. Malgré cela, dans l'ensemble, le film se refuse visiblement à suivre une quelconque structure (très différent de Salo, donc) : s'il y a bien une entame, quelques éléments narratifs (on parle d'une femme assassin au couteau, et on la voit bien en action, à un moment), et une conclusion bien marquée (par des effets "esthétiques", c'est-à-dire une disparition des humains et des jeux d'éclairages), on peine à saisir une quelconque forme (progression, marques de ruptures, de transformation, etc.) autre que celle d'un long happening répétitif (très, ne faites pas comme moi, n'y allez pas à 22h dans une salle qui, en outre, se vide progressivement de presque tous ses spectateurs) qui rappelle la logique d'un spectacle de danse un peu improvisé. Oui, c'est inspiré d'un spectacle, mais cela n'empêche pas la nécessité de produire une forme. Ou alors, la forme de ce film, c'est précisément la juxtaposition de scènes, elles bien identifiées, se succédant sans ordre autre que celui posé par quelques jalons minimaux. Bref, le film n'est assurément pas à la hauteur de l'époustouflant "Casanova vs Dracula" d'il y a quelques années (Histoire de ma mort, 2013), mais le lendemain, une fois évacuée la déception, on en garde une impression pas si désagréable, comme le fait d'avoir vécu une expérience somme toute singulière. Quant au "message", je ne sais pas trop, j'ai l'impression que l'idée centrale qu'évoquent, dans leurs quelques propos plus politiques, ces nobles rejetés de la cour (en gros, le libertinage comme prémice de la révolution sociale) n'est pas du tout abordée… Après avoir lu quelques textes, je serais prêt à suivre (une fois n'est pas coutume) Rauger dans son habituel laïus. Tout cela renverrait au panoptisme pornographique contemporain. Ouais, assez d'accord, mais sans plus. Malgré les quelques erreurs dans la description du récit, je vous y renvoie donc, moi je n'ai pas grand chose à en dire : https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/09/04/liberte-albert-serra-plonge-au-c-ur-de-la-debauche-sexuelle_5506171_3246.html |
A chaque fois que je croise un film d'Albert Serra je me dis que ça à l'air tentant, mais, invariablement, je me rappel de son Le chant des oiseaux (El cant dels ocells) qui est une des pire purge que j'ai vu de ma vie. Belle performance tant on connait mon goût pour les longs films où il ne se passe pas grand chose. Mieux encore: je vois que le film ne dure que 98 minutes et j'aurais parié qu'il en durait au moins le double! |