Film: Un grand voyage vers la nuit

Frederico () a dit:
On pourrait mettre quatre, mais je vais pisser froid. Laurent s'exprimera je l'espère, mais j'ai cru comprendre qu'il avait plus goûté la deuxième moitié du film (plan-séquence hyper performatif en 3D de près d'une heure) que la première (chercher la femme et la vérité dans les souvenirs). Je suis dans la situation inverse.

Si la première moitié n'est pas avare de clichés et de deus ex machina pour faire progresser l'enquête, je suis tellement friand de ce type de récit (elliptique, lesté par le poids des souvenirs et des regrets, jeu de piste encore plus pour le spectateur que pour le protagoniste) que j’accepte toutes les facilités et tous les maniérismes. Et Tang Wei dans une robe de satin vert force nos neurones à lancer des ponts vers Lust, Caution et Atonement et donc à faire pleuvoir les étoiles.

Quand à la deuxième partie, moi qui ai vanté les mérites de Fish & Cat et d'Invasion (les films en un plan de l'iranien Shahram Mokri), pourquoi peine-je à aimer la prouesse de Bi Gan? Je pense que cela vient d'un mélange entre une facilité narrative (SPOILER La séquence est un rêve) et une outrance performative (SPOILER déplacement en draisine, scooter et tyrolienne, envol, partie de ping pong, empochage au billard, animaux, etc) assez stérile. En effet, si il y a une tension qui se crée, elle est liée aux défis de la réalisation de la séquence, pas vraiment au récit qu'elle déploie. De plus, au niveau formel, il n'y a que quelques passages qui subjuguent.

Cela dit, cette séquences qui mélange spectres, fantasmes, intuitions et/ou souvenirs refoulés, recyclant tout le matériel mis en place dans la première partie, fascine tout de même. Les meilleurs dialogues s'y trouvent d'ailleurs (SPOILER offrir une montre vs offrir un feu d'artifice).


PS: La 3D c'est quand même une sacré arnaque, car notre cerveaux est juste trop adaptable. On met les lunettes au milieu du film et c'est un choc, mais 10 minutes plus tard on ne réalise plus que c'est en 3D. Un feu de paille, à moins de multiplier les effets lourdingues (ce qui n'est pas le cas ici).


Laurent () a dit:
Oui Fred, c’est exactement l’inverse pour moi. A moi, les tentatives de récit alambiqué ne m’ont pas paru réussies, je n’y ai vu qu’une juxtaposition de scènes – certes dans de formidables décors limite art contemporain (cave inondée avec ampoule, tunnels interlopes, extraordinaire univers d’après-guerre dans des rues dévastées, ruines urbaines qui nous transportent presque dans Allemagne Année Zéro, etc.) – mais traitées avec un esprit poseur post-moderne un peu désuet pour un réalisateur si jeune (affectations gangster situées entre érotisme vintage à la Wong Kar Wai – oui, jolies robes et costards – et torture en play back lyncho-tarantinesque, à deux doigts de Refn c’est dire!).

Bref, j’ai largement décroché au fil de la première heure, me disant que la fraîcheur et l’énergie du phénoménal premier film du même type, Kaili Blues – avec son stupéfiant plan de 3/4 d’heure à fond la caisse dans les villages de montagne – était bien derrière nous. Quand… commence enfin le plan attendu (le type met ses lunettes 3D et nous aussi, prévenus par le carton initial, nous plongeons dans le fameux plan séquence d’une heure), et là, bien que l’émotion ne soit pas complètement au rendez-vous (au cadre plus «authentique » de Kaili Blues – petites gens, musiciens losers, coiffeur, etc. – se substitue une succession d'espaces irréels, pour ne pas dire fantasmagoriques, couloirs de mine, grottes, et le ludique est explicitement mis en avant (ping pong, billard et attractions foraines), il se passe vraiment quelque chose et pas seulement parce qu’on est bien divertis devant la prouesse. Non, une certaine vérité me semble se dégager de la trajectoire du héros dans ces espaces situés précisément à mi-chemin entre le village d’enfance à la montagne et les stéréotypes spectaculaires. Le dernier mouvement d’appareil – qui relie l’étreinte d'un couple à un feu de bengale – m’a dès laissé complètement estomaqué.