Film: Lazzaro felice

Laurent () a dit:
Un beau film, incontestablement. Les lieux (village reculé séparé par un pont effondré…) et les corps paysans sont d'une profonde singularité et marqués du sceau de l'authenticité, le récit aussi – quoique, et cela m'a étonné, d'un grand classicisme au plan de sa forme cinématographique et de la progression narrative (comme si l'univers visuel de Miguel Gomez était filmé par John Ford, voire même Raoul Walsh tant tout cela est découpé au cordeau). Heureusement que le film bascule à un moment dans le fantastique, cela permet d'éviter un certain ronronnement gentillet qui gagne peu à peu la première partie.
Je regrette un peu qu'une fois encore, la disparition du monde archaïque (plutôt de notre civilisation fondamentale, qu'elle soit mythologique, religieuse, clanique, etc.) ne passe pas par une observation du monde du travail tel qu'il est (cadences, circulation, répétition, évaluation, et tous les cadres actuels genre uberisation), mais par l'image romantique du marginal limite gitan (de surcroît avec la figure du Lumpensammler chère à Benjamin revisitant Baudelaire, très à la mode en ce moment)… Rien de mal à cela, bien sûr, mais à force, bien peu de films prennent à bras le corps cette question, puisque c'est plus exploité dans un dépôt amazon ou un magazin de téléphonie que l'on retrouvera le descendant des familles paysannes que chez des romanichels vivant en caravane. Mais c'est moins charmant à filmer pour les enfants de la bourgeoisie élevée en mal de figures d'identification "populaires".
Je le redis, ce n'est pas un problème en soi. Ainsi, les vendeurs ambulants d'Andrea Arnold relèvent eux aussi de cette même attraction pour des personnages en marge aux dégaines folk, et cela ne nuit aucunement à la force et à la beauté du propos, donc… ici aussi.