Assez impressionnant pour un premier film. Le vrai sujet est comment on peut varier les manières de martyriser son corps, jusqu'à un scène éprouvante qui m'a fait me sentir mal. Victor Polster, le jeune garçon qui joue la jeune fille, est formidable. |
Interprétation assez époustouflante du jeune Polster, en effet. D'ailleurs, une des forces du film est le cast, où chacun joue juste (le père, notamment, est aussi particulièrement convaincant). Je suis ressorti partagé néanmoins. Une des très bonnes idées du film SPOILER SPOILER est de ne pas situer la complication au sein du cercle familial, comme on pourrait s'y attendre avec cette thématique du changement de genre sexué. Au contraire, l'entourage de Lara accueille ce changement d'identité comme une forme d'évidence, comme un processus tout à fait envisageable, et tout le monde fait en sorte que l'adolescent/e puisse prendre ce chemin avec le plus de sérénité possible. Même l'entourage "professionnel" – le milieu de l'école de danse – paraît prendre cette donnée (à peu près) comme acceptable. Et si c'est une bonne idée, c'est que cela montre que, malgré cela, un tel choix reste une épreuve. Mon problème se situe cependant sur ce plan des complications. Car SPOILER SPOILER il y a un empilement de problèmes, un dédoublement, qui crée une interférence que, pour ma part, je peine à interpréter. Comme Jean-Luc l'indique, le sujet du film, c'est le désir autodestructeur de maîtriser son corps, de le modeler à sa guise – c'est même la haine de soi que j'ai souvent ressentie (notamment dans la scène évoquée par JLB). Or ce martyre du corps se déroule dans deux cadres-problèmes: le devenir-transgenre d'une part – ce qui est déjà suffisamment compliqué, trouvé-je –, et le devenir-ballerine – avec une représentation bien connue du monde de la danse (cf. "Black Swan" entre autres) comme un univers dur, fait de sacrifices perpétuels, et donc autre source de complication. De fait, je ne parviens plus à comprendre l'histoire que l'on me raconte: celle d'un/e adolescent/e qui souffre de ne pas être ce Moi qu'il désire être ardemment, ou celle d'un/e aspirant/e ballerine qui souffre de ne pas réaliser ce rêve? Le problème s'épaissit encore – mais c'est peut-être un début de solution –, dans la mesure où SPOILER chaque programme en réalité fait obstacle à l'autre. C'est parce que Victor/Lara est en train de changer de sexe que le devenir-ballerine est en péril (l'ancien garçon n'a pas suffisamment formé ses pieds à la danse féminine, et la nouvelle fille ne parvient dès lors pas à réaliser les pas qu'on attend d'une ballerine en danse classique), et c'est parce que le personnage s'astreint à une discipline draconienne pour concrétiser son devenir-ballerine que le processus pour changer plus drastiquement de sexe (hormones et opération) prend du retard et risque de tourner court... De fait, on a affaire à un personnage qui désire "trop" (??) et qui, de fait, prend le risque d'échouer partout (??). Cette superposition amplifie tous les problèmes, et, dans un film qui vise une esthétique tout de même réaliste, offre une emphase qui dessert le propos. A moins que SPOILER il ne faille en revenir au titre du film, "Girl", et le prendre au pied de la lettre. Ainsi, le film ne porterait ni sur le changement transgenre ni sur la danse, mais sur le devenir-femme en tant que tel – et le changement de sexe opérerait comme une métaphore (curieuse et brutale) de tout ce qu'implique ce devenir-femme. Le martyre du corps pourrait dans ce cas symboliser la réduction de toute femme à son corps – qui doit être maîtrisé, contrôlé, avoir de beaux seins, être gracieux, virevolter sur la scène du monde pour le plaisir des hommes-spectateurs, et être désirable, provoquer la jouissance de ces mêmes hommes (cette dimension apparaît aussi dans quelques scènes secondaires du film). En d'autres termes, cherchant à être femme, Victor/Lara se voit confronté/e à ce que cela signifie, dans notre monde, être une femme: une tâche quasi insurmontable, si l'on vise le bonheur... |
Un film très abouti, qui m’a passionné à bien des égards (en raison du lien entre danse et travail, sujet sur lequel j’aimerais bien écrire). Certes, le « thème » ressortit de l’idéologie du moment, et l’on pourrait déplorer que la réflexion critique sur le dressage social du corps soit réduite à la seule question de l’identité de genre et à l’obsession bourgeoise de la réussite artistique. Mais on ne peut tout de même pas reprocher à ce film de parfaitement cerner les termes du problème dont il veut traiter… Sa grande force : pas de pathos, pas de conflits stéréotypés entre personnages (peut-être, mais c’est très bref, une scène de méchanceté entre gamines, mais elle est sèche et, surtout, bien réfléchie quant à la manière dont elle « met en scène » (ou pas) l’organe sexuel – l’un des grands enjeux de représentation impliqués par ce film. On se concentre ici avant tout sur les rituels physiques (dans l’esprit des « maîtres » du cinéma contemporain, comme Kechiche ou Andrea Arnold) : déambulations en allers retours, scènes de danse, aménagements et dissimulations partielles du corps dans les coulisses, etc. Bref, on ne s’ennuie pas une seconde, et l’affaire est parfaitement maîtrisée – le réalisateur vient de Gand, et a 25 ans : une leçon pour nos apprentis cinéastes romands ! |
SPOILER Très juste le commentaire de Vincent. C'est l'une des surprises du film de ne pas placer comme toujours la complication au sein même des rapports sociaux (tout le monde est OK qu'elle fasse de la danse;tout le monde est OK qu'il change de sexe), mais dans la superposition des deux. On arriverait donc à la logique dont parle Vince : le héros/héroine éprouve la difficulté de devenir femme (au sens de la construction sociale du genre qui, en l'occurrence, est une conformation normative) autant que celle purement biologique (mais, sur ce plan, d'un couic! elle s'en sort, et la protagoniste peut in fine afficher sa fierté d'être enfin cette belle blonde qui parade dans la rue). Mais le problème, alors, c'est qu'il est bien con. Ce qui est certes son objectif ultime. Mais est-ce bien ce que le film cherche explicitement à dire? Je crois plutôt que la morale, c'est : on ne peut pas tout avoir dans la vie. To have or have not. |
Pour moi, le problème se situe surtout au niveau du choix artistique du personnage: son corps n'est simplement pas idéal pour le ballet et elle s'y est mise trop tard (ce qui est d'ailleurs mentionné au début du film), ce qui a n'a pas grand chose à voir avec son changement de sexe. Elle serait par contre parfaitement à sa place dans une compagnie de danse contemporaine, ce qui est assez ironique vu l'endroit où se situe le film (De Keersmaeker anyone ????), et l'implication de Cherkaoui sur les très belles parties chorégraphiées. Le conflit dont vous parlez (on ne peut pas tout avoir) apparaît dès lors un peu absurde, tant le personnage (et la personne réelle sur laquelle est basée le film) aurait sans doute pu concillier son changement de sexe et sa carrière de danseuse si elle avait été mieux orientée dans celle-ci... |
Oui complètement d'accord, quel(le) con-ne de vouloir faire du ballet, mais le classique ça fait plus "adolescente", Robert! Et ça touche un plus large public, renvoie plus à l'idée de dressage du corps, etc. |