Film: Manchester By The Sea

Frederico () a dit:
Si un drame est un film où il se passe des événements dramatiques, Manchester By The Sea est plus dur encore: c'est un film sur l'après du drame, sur l'impacte qu'il a eu sur les gens, leur personne et leur organisation sociale. Porté par un Casey Afflek endolori, le film est périodiquement aéré par des dialogues acerbes particulièrement bien aiguisés (aérations bien venue car le film sans elles serait asphyxiant). Il y a quelque chose de très fort à raconter une histoire assez banale, arrivant à des gens ma fois forts normaux, et de dire: "Leur peine mérite aussi Albinoni et Händel."

A noter également: la photo. L’avènement du digital a donné lieu à des trucs zarb' comme certains plans de Collateral ou de Public Enemies, ou encore The Hobbit, mais les chefs op' (et les informaticiens et autres ingénieurs en traitement de signal) sont maintenant passés maître dans l'art de donner un rendu pelliculaire au digital. Ça et là, on voit aussi des films qui utilisent le digital pour faire, à mon sens, des choses pratiquement impossibles sur pellicule. Deux exemples récents sont un plan de Ta'ang de Wang Bing éclairé d'une bougie unique dont la flamme chancelle au point parfois de n'être plus qu'une mèche rougeoyante, le tout sans le moindre bruit vidéo (pendant du grain de la pelloche) et, ici, dans Manchester By The Sea, des plans larges dont le piqué des détails est frappant (à ma décharge je n'ai jamais vu de projection en 70mm natif sur écran de taille normale). Un aspect technique qui donne un souffle et une solennité très particulière au film et ses paysages hivernaux.

EDIT: -10mm


Robert () a dit:
l'aération provient aussi du beau personnage de Patrick et ses amours multiples qui nous rappellent que la jeune génération n'a pas forcément à porter le deuil de ses ainés

très belle photo et utilisation de la musique en effet

je pense que tu veux dire 70mm (15 perf) à part ça


Charles-Antoine (pas vu) a dit:
https://bullybloggers.wordpress.com/

EDIT par Frederico: J'ai transformé en lien direct vers la critique, histoire qu'elle soit retrouvable dans le futur.


Frederico () a dit:
Je ne recommande pas la lecture de la critique ci-dessus ni la lecture du présent post aux gens qui n'ont pas vu le film, car ça va spoiler sec.

Si je suis d'accord avec certains aspects de la critique d'Halberstam dans l'absolu (notamment la difficulté que l'on peu avoir en tant que spectateur à avoir de l’empathie pour un personnage de bourreau et l'aspect nauséabond de faire un film sur le lourd fardeau du criminel en occultant ses victimes directes et collatérales - et j'ai vu un film récemment qui colle à ce canevas, mais je n'arrive pas à le remettre), mais dans le cas particulier de Manchester by the Sea ces critiques me semblent non avenues.

En effet, toute la force du récit vient du fait qu'il crée une situation où le personnage principal est responsable mais pas coupable et que cette position lui est insupportable au point de s'infliger la punition qu'il pense mériter et que la loi et la justice lui ont refusée (on notera qu'une critique faite au film ailleurs est que le personnage n'évolue pas, mais, là encore, c'est la force de ce récit que de maintenir le personnage statique, mais de faire évoluer la perception que l'on a de lui, puis de lui proposer une possible rédemption, un retour vers les vivants, qu'il ne parvient pas à accepter).

Après c'est bien gentil de se lancer dans une lecture raciale du film, mais, aux dernières nouvelles, la population afro-américaine de Manchester by the Sea c'est... 0% (et je ne plaisante même pas) et du coup partir dans des conjectures sur le destin qu'aurait eu un noir dans des circonstances similaires est assez absurde. Les conséquences (ou plutôt leur absence - particulièrement quand on saisi une arme dans un commissariat) ne se justifient pas ici par un facteur racial, mais par une question d'échelle: tout le monde connaît tout le monde à Manchester et c'est d'ailleurs bien pour ça que le personnage part à Boston pour y être personne.

De la même façon, lire le film à travers le prisme de l’élection présidentielle est doublement mal venu. Primo, les tristes hommes blancs du Massachusetts ont voté Clinton à 60% et, secundo, mettre l'élection de Trump sur le compte du (débattable) racisme des prolétaires blanc c'est faire preuve d'un coupable et potentiellement coûteux manque d'analyse et d'auto-critique.

Le filtre gender est un peu plus productif pour discréditer le film, mais dans des mesures moindres que celles avancées par l'articles, car les relations (ou plutôt leur absence) que le personnage a avec les femmes après le drame sont conditionnées par son renoncement à la vie. Après, les femmes de Boston, l'épouse du frère, la femme du pêcheur, la femme du personnage principal avant le drame... c'est pas très glorieux. Mais finalement c'est équilibré par les copines du neveu, la mère de la copine du neveu, l'infirmière, la femme du personnage principal après le drame... donc voilà. Les personnages féminins ne forment pas un bloc uniforme qui servirait à sous-tendre un discours où porter une charge. La peinture se veut réaliste donc on a un spectre large de gris.

Bref... elle est un peu caca cette critique d'Halberstam. On mettra ça sur le compte d'un contexte un peu éprouvant émotionnellement!



Charles-Antoine (pas vu) a dit:
Je n'ai pas vu le film, donc m'abstiens de commentaire, hormis pour signaler que la production d'un discours ethnoracial ne nécessite pas la présence de Noirs dans le territoire du film, mais passons. Il s'agit là d'une logique systémique, et non particulière, même si c'est bien cette dernière lecture que le film - qui hume bon le masochisme masculin, rien qu'à en lire Fred - semble inviter à faire.

En attendant, si tu ne te lasses pas des débats contradictoires: http://genre-ecran.net/?Manchester-by-the-sea