Film: Inglorious Basterds

Frederico () a dit:
3 problèmes:

- Je ne suis pas convaincu par tous les dialogues. Le français châtié et alambiqué fonctionne parfaitement dans la bouche d'un Landa, maître du faux et de la manipulation, il est normal que sa langue soit stylisée, anti-naturelle. Dans une moindre mesure, il en va de même pour le soldat/sniper/acteur. Mais dès que les francophones parlent en français on grince des dents. Dialogues médiocres, line delivery approximatif... aïe aïe aïe. Ecrire et diriger le naturel dans une langue étrangère est un défi qui n'est pas relevé par le film et c'est Mélanie Laurent qui en pâti le plus.

- Je n'ai rien contre la réécriture de l'histoire dans les fictions, mais il me semble que ça doit être fait avec un certain doigté. Concrètement, toucher à des éléments de notoriété public ne me gène pas, mais quand par la bande on avance l'idée que les américains se seraient engagé en Europe pour sauver les juifs, ça met un poil mal à l'aise.

- Tarantino se la pète un peu trop. Peut-être que ma perception est faussée par l'interview où il se pose comme étant dans une compétition / émulation avec P. T. Anderson pour la casquette de meilleur réalisateur américain contemporain, mais j'ai quand même envie de lui dire "calme ta joie" quand il cite Big Red One (ou/et Come & See!) ou quand la dernière réplique du film est "I think this is my masterpiece"...


Charles-Antoine () a dit:
3.5: rejoint pour moi Watchmen et Antichrist sur la liste de ces films certes empreints de quelques défauts, mais qui se distinguent surtout par leur richesse, leur intelligence et leur densité.

Le film rend à mon sens bien compte de l'état d'une société mondialisée, où les hommes ne peuvent s'affronter que via deux types de masculinités aussi répugnantes l'une que l'autre: l'homme cultivé et polyglotte, dont la supériorité sociale repose sur sa capacité à passer d'un idiome à l'autre et donc à occuper la place de l'autre; et l'homme violent et sadique, dénué du plus petit signe d'érudition, dont l'ascendant se fonde sur sa ténacité physique et son idéal de revanche. Tout cela au prix de la souffrance des minorités évidemment: Juifs, mais aussi femmes et Noirs. Le film reconduit du reste à la fin une belle alliance entre la femme et le Noir, alliance que Jodie Foster nous avait déjà donnée à voir dans Panic Room et The Brave One.

Concernant l'affrontement de ces deux virilités, il est intéressant de voir qu'elles sont incapables de se comprendre. Là où l'homme cultivé naturalise tous les rapports sociaux avec ses noms d'animaux (loup, rat, faucon, ours, etc.), l'homme violent s'attache au contraire à apprécier les autres à l'aune d'une symbolique purement sociale (l'uniforme, les costumes de soirée, etc.).

C'est aussi assez évident lors de la scène de tractations finales (hilarante du reste dans sa reconstitution fantoche de la conférence de Yalta, avec l'allemand qui occupe la place de l'anglais, dont il parle la langue et qu'il a simultanément au bout du fil...), où on assiste à l'échec partiel des deux personnages (notamment le fait que Landa n'arrive pas, malgré son intelligence, à anticiper la réaction violente à venir d'Aldo Raine dans la forêt) à exercer leur pouvoir sur l'autre. Le personnage de Landa le souligne d'ailleurs de façon prophétique au début de leur entretien en s'exclamant qu'ils sont de toute façon "sur un tout autre niveau"!


Jean-Luc () a dit:
J'hésite continuellement entre deux et trois étoiles, suivant ce qui prend le dessus: ce qui m'a plu ou agacé.


Laurent () a dit:
Enfin, je suis convaincu et sous le charme de Quentin Tarantino!

En effet, à mes yeux (oreilles?), Tarantino mérite cette fois, indéniablement, sa réputation de maître absolu du dialogue (d'autant qu'ici, le rapport à la langue est problématisé dans chacune des quelques longues scènes qui constituent le film!)

Je m'attendais à une merde à la brutalité complaisante et malsaine (cf bande annonce) et je me retrouve face à du théâtre brillantissime, incroyablement incarné et… hi-la-rant (les trois “Italiens”, fou rire de la décennie, pour ma part)! Je rêve de voir une fois ce film joué sur scène!!!

Et n'oublions pas l'incroyable discours sur la relation entre le cinéma et l'histoire! Quelle conclusion étourdissante! Quel courage!

PS Je me demande comment le film peut même exister en VF - et comment un film américain (l'est-il, d'ailleurs?) parlé 50% allemand, 25% français… peut sortir aux Etats-Unis?






Vincent () a dit:
Je ne vais pas jusqu'aux quatre étoiles, car, comme dans tous les Tarantino, le film manque souvent d'idées cinématiques, trouvé-je, alors qu'il est extrêmement bien ficelé au niveau de l'écriture des dialogues, de l'écriture des personnages surtout, et de la narration avec les inévitables analepses quentiniennes, dont je suis et reste friand.

Casting absolument incroyable, juste à tous les niveaux, avec évidemment une mention spéciale à Christoph Waltz, dont le jeu (notamment facial et vocal) est d'une mobilité, d'une fluidité, d'une aisance aussi démoniaques que son personnage de détective / chasseur de juifs. La scène où d'un coup d'un seul il passe de son sourire mi-condescendant mi-sardonique à un rictus sauvage lorsqu'il étrangle Diane Kruger est juste à couper le souffle. Grâce à lui, chaque scène où il apparaît se charge immédiatement de doubles sens très troublants.

Comme Laurent, le linguiste que je suis a été particulièrement sensible à l'emploi des langues et à sa problématisation. D'ailleurs, une des grandes forces du détective diabolique réside précisément dans son absolue maîtrise de quatre langues, qui lui permet soit de leurrer une famille juive cachée sous un plancher, soit de démasquer des kamikazes américains parlant italien comme un éléphant balte. (A ce propos, la scène effectivement hi-la-rante où Brad Pitt et ses comparses s'efforcent de parler "italien" à un Waltz ironique s'amusant à leur faire répéter des syllabes qu'ils écorchent de plus en plus est un sommet, et qui plus est justifie d'un seul coup l'accent atroce dont Pitt est affublé tout au long du film.)

Enfin, il faut bien voir que Tarantino sait manipuler la délivrance cathartique associée au motif de la vengeance. Avec un aspect parfois malsain, peut-être (quoique?), il arrive à nous faire participer (ça marche sur moi en tout cas) à la jouissance des "héros" (mais y en a-t-il dans ce film? Shoshanna la Blanche et Marcel le Noir, peut-être... autre point fort du film, il faut le souligner) lorsque ceux-ci punissent les bourreaux ou ceux qui, peu ou prou, ont pactisé avec eux.

Ah, et il faudrait encore parler du grotesque, où là encore QT fait des merveilles, liant tension et burlesque au sein d'une même scène (cf. le dialogue en italien, entre autres), faisant entrer Mike Myers (et ses ratiches en biais) dans la peau d'un gradé britannique expliquant les grandes lignes de l'Opération Kino, ou encore le grotesque plus sanglant bien connu chez notre homme, etc.


Frederico () a dit:
N'est-ce pas l'occasion de parler de grand-guignol au sens historique du terme?


Laurent () a dit:
Le Grand Guignol, théâtre fondé à Paris dans les toutes premières années du 20e siècle et centré sur des temps forts tels qu'opérations chirurgicales, démembrements, sadisme en tout genre, s'est en effet singularisé par la rencontre entre horreur sanglante et comique. Ensuite, le terme s'est généralisé pour recouvrir, dans divers médias, mais plus particulièrement au cinéma, cette conjonction particulière du rire et du gore. Dans ce sens-là, Inglorious Bastards, comme le précédent QT, est donc moins “grand guignol“ que les séquences, emblématiques, de torture qui jalonnent les premiers films de l'auteur, ou encore nombre de ses produits satellitaires (Hostel, séquences de CSI ou de Planet Terror où QT lui-même apparaît…).

Seul moment Grand Guignol (dans ce sens général) de Inglorious Basterds: la rencontre du commando avec les soldats nazis, avec l'idée de graver la croix gammée sur le front, les scalps, etc.

Maintenant, si l'on feuillette l'intégrale des pièces du principal auteur dramatique français ayant travaillé pour le GG (A. De Lorde), on s'aperçoit en réalité de la prégnance de scènes de dialogue à forte teneur sadique fondées sur des effets de suspense qui relèvent moins de la violence gore que d'une tension liée au surgissement potentiel de la mort. Dans ce sens-là, très singulier et jamais commenté, oui l'art du dialogue tarantinien procède bel et bien du Grand Guignol…