Je n'arrive pas à comprendre comment dans une production qu'on imagine hautement professionnelle, il peut y avoir de telles sautes dans la qualité visuelle. Ce n'est pas comme si cela correspondait à un choix de la part de Mann, car si il y a des pans entiers du film qui sont immondes, il y a aussi des plans pourris qui viennent se glisser au milieu d'à peu près toutes les séquences. La où ça devient surréaliste, c'est qu'on peut faire le même commentaire sur le mixage du son. Volume musical qui joue au yo-yo, voix inintelligibles, c'est vraiment étonnant. Derrière tout ce fatras, il y a quand même un film pas mal avec de bons moments et un joli cast. |
Plutôt 4.5! Mais je suis assez pressé, donc: comment ne pas penser à Carlito's Way! Incontestablement le meilleur film que j'ai vu cette année. Difficile à ce titre d'inventorier tout ce qui fait la qualité et le plaisir pris à la vision de ce qui constitue aussi le meilleur film de Mann depuis The Insider. On pourrait s'y essayer pour rire, tant l'effet cumulatif est impressionnant: Dante Spinotti à la photo, Colleen Atwood aux costumes, Elliot Goldenthal au score (dont la sortie de retraite permet à Mann de renouer avec un lyrisme qu'on ne lui connaissait plus), Nathan Crowley aux décors (Dark Knight), et bien sûr Depp, Bale, Cotillard, Lili Taylor, Billy Crudup, Stephen Dorff, et deux acteurs extraits de The Wire que les amateurs auront plaisir à retrouver. Je perçois au cœur de ce projet un désir de réécrire et de refondre à la fois le film de gangster à partir d'une articulation complexe entre la nouvelle donne technique contemporaine d'une part et l'iconographie et les codes les plus entérinés du cinéma classique de genre d'autre part. Le résultat se situe dans un grand écart permanent, incroyablement productif, entre une qualité d'image qui pourrait instinctivement renvoyer aux pratiques du "home video", mais dont le statut se trouve constamment reformulé via le recours à des pratiques résolument "cinématographiques" (montages alterné, ralentis, mickeymousing, angles de prise de vue très variables). A cela s'ajoute le grand écart tragique du parcours de John Dillinger lui-même, dernier représentant d'une masculinité vraie et mesurée (voir l'isolation phonique du personnage au début, qui participe d'un sentiment étrange), pris entre la brutalité d'un monde encore sauvage d'un côté et sur le point de devenir moderne de l'autre. De ce point de vue, Public Enemies se veut exemplaire des temps présents, un film situé en période de crise économique, où le pouvoir n'hésite pas à faire appel aux méthodes d'interrogation les plus violentes, aux moyens modernes de communication, dans un contexte en proie à de profondes mutations technologiques (téléphone, train, avion, radio, photo, voiture, armes automatiques, presse écrite, tout y passe). Qui plus est, il me semble que Mann quitte ici la question dite, vite, de la perte d'identité "postmoderne" (Collateral et surtout Miami Vice), pour traiter de ce qui, selon lui, paraît constituer le fondement d'une virilité authentique: la puissance "désarmante" d'un regard qui aligne le voir avec pouvoir. C'est sans doute à cet égard que le film est le plus passionnant, dans sa tentative d'émulation de la personnalité et des qualités de son héros, tout en se présentant comme le véhicule privilégié d'une acclimatation aux données de notre époque. Dans ce registre, et sans en dire trop, Bale campe une nouvelle fois un antihéros d'envergure, modèle d'une masculinité estropiée et inaboutie, qui n'est pas sans rappeler le personnage qu'il interprète dans le remake de 3:10 to Yuma. |
Un atterrissage aux allures eisensteiniennes, une malicieuse conférence de presse, une évasion nerveuse, un hallucinant gunfight forestier, une fuite risquée dans d'improbables ruelles, une visite ironique au commissariat, etc.: Public Enemies aligne sans interruption une incroyable série de séquences splendides, qui dévoilent toutes les nuances de la vidéo HD en crépitements traumatiques, lueurs déprimantes, hiérarchies figées et captations nerveuses! Et au fil desquelles s'élabore, par touches allusives (malheureusement trop superficielles pour véritablement forger un discours cohérent), la représentation critique d'un univers désormais massifié, jusque dans ses tentations totalitaires (un jeune J.Edgar campé à la Stone mais sans l'outrance - tous les personnages souffrent d'ailleurs d'un traitement par l'esquisse qui finit par les rendre inconsistants). On retrouve l'obsession de la télésurveillance, de l'emprise technologique dans lesquels se compromettent les justiciers comme les gangsters, ainsi que l'aliénation poignante du héros à la culture pop du divertissement médiatique qui le vampirise progressivement et dans laquelle il retrouve pourtant in fine une petite part d'appropriation lyrique - variétés, imaginaire hard-boiled… Mann prolonge d'une certaine manière, et sur un mode mineur, les réflexions posées dans ses récents Collateral et Miami Vice, en les croisant avec un esprit proche des derniers films historiques de Clint Eastwood autour du tournant des années Roosevelt- Flags of Our Fathers, The Changeling. Le problème, c'est que ce film magnifique commence effectivement après plus d'une heure de projection, avec la séquence d'aérodrome susmentionnée. Avant, c'est la douche froide. On hésite constamment à sortir face à une lénifiante succession de petites scènes descriptives, creuses, sans imagination et dénuées d'enjeux, dont le filmage/découpage, à peine appuyé par un score usiné et sous valium (pourtant signé de l'immense Elliot Goldenthal) s'avère au mieux quelconque façon Michael Steiner, au pire bouillie visuelle façon Pitof. Avant le début véritable du film (probablement grâce au surgissement d'une certaine tension narrative, par le biais de l'arrestation du héros), on s'interroge vraiment sur la pertinence du choix de la Sony F35, vis-à-vis de la Red One utilisée auparavant par Mann (et brillamment employée par Von Trier pour son Antichrist, à des fins réellement novatrices - voir à la suite les deux films dessert évidemment Public Enemies, tant par la faiblesse de son propos socio-historique que par l'échec flagrant de sa démarche esthétique). En réalité, l'usage nettement plus travaillé de la photographie dans la plupart des séquences de la seconde moitié du film (en gros, on voit autre chose que des sempiternels visages en gros plan et, pour l'action, du porté tremblé d'il y a quinze ans) nous rassure sur ce point. Une fois revenue à la raison, la stratégie visuelle de Public Enemies évite alors un autre écueil récurrent du recours à la vidéo: le paradoxe selon lequel vouloir “faire cinéma” aboutit souvent à l'allure suiviste du produit d'amateur. Là, la recherche fréquente de plans utilisant la lumière et les modes de transport spécifiques de la caméra vidéo, loin de cadrages posés et sophistiqués essayant de singer les codes du 35mm, est éminemment louable. Certes, il serait possible de justifier ce saut soudain de la platitude extrême à l'énergie flamboyante, cette apparition inespérée du sens et du spectacle, par un choix structurel : dans sa forme même, le film passerait dès lors d'un monde élémentaire, sans nuance mais avec des repères clairs, à la complexité effroyable de la modernité. Mais je ne suis pas sûr de vouloir emprunter ce chemin-là, tant il paraît improbable qu'un réalisateur choisisse volontairement, pour une partie substantielle de son métrage, de tomber si bas. Ou du moins, dans une telle médiocrité. PS Dommage de retrouver enfin l'un des acteurs les plus doués de sa génération, Giovanni Ribisi (The Gift, 2000) pour une prestation aussi minimale! |
commentaires à venir |
On attend toujours! |
Voilà voilà ça vient... Je suis d'accord avec Laurent sur le fait que le film ne commence vraiment qu'après une 1h avec l'arrestation de Dillinger On sent que Mann n'a pas voulu refaire Heat ce qui l'empêche de développer le personne de Melvin Purvis et de nous donner un véritable affrontement avec Dillinger. Contrairement aux deux précédents opus de Mann, je trouve que le film souffre visiblement de son tournage en vidéo sur certaines scènes (la scène de nuit dans la forêt par exemple) et, même si je peux concevoir que ce look vidéo soit délibéré, j'ai quand même un peu de la peine à trouver la chose réussie dans un film recréant les années 30. Petit correctif technique: Collateral et Viami Vice avaient été tournés avec la Thomson Viper Filmstream (et aussi en partie en Super35 pour Miami Vice). Public Ennemies a lui été tourné avec la Sony F23 et la PMW-EX1 pour quelques scènes en caméra portée. Quant au mixage sonore, l'idée d'isolement de Dillinger évoquée par Charles est belle et pourrait faire sens mais je me demande si ça n'est pas plutôt un problème de projection ou de post production... Pour la musique je penche à nouveau vers Laurent tant il me semble que Goldenthal a fait mieux par le passé (Demolition Man, Batman 3&4, Sphere). Idem pour Spinotti Reste la maîtrise formelle de Mann, une belle deuxième partie de film et la prestation de Depp qui valent quand même bien le détour. Par comparaison on peut revoir le Dillinger de 1945 avec Lawrence Tierney, série b ultra ramassée de 70min, qui par certains aspects me plait presque plus que le film de Mann. |
Ça oscille entre deux et trois étoiles. Je trouve que le film manque son sujet – ou ne fait que l'effleurer –, qui est (comme souvent avec une intrigue située dans les années 1930) les changements radicaux d'une époque, ici, comme dans tout secteur économique, le passage d'un artisanat du crime – avec ses héros, ses figures individuelles marquantes et quasi adulées par le public – à une industrialisation conglomérante de la magouille, qui devient sans visage. En parallèle, la création d'un système policier qui, lui aussi, se mécanise et broie ceux qui en font partie. Tout ceci est dans le film... mais se trouve pourri par une love story à la noix dont on se fout éperdument. Et c'est parfois filmé avec les pieds, il faut l'avouer. Et puis soudain, une série de plans magiques, une séquence irréelle, magnifique, qui vient tout de même relancer le bidule... |