Film: Tropa de Elite

Frederico () a dit:
Film brésilien vu au FIFF. Ourse d'Or à Berlin en 2008.

En 2002, José Padilha a réalisé Ônibus 174, un documentaire stupéfiant pour tenter de digérer la tragique prise d'otage d'un bus par un enfant des rues. En faisant ce film sur le kidnappeur, son origine et sur la mauvaise gestion de la crise par la police (les polices en fait), Padilha a vu germer un autre film, une sorte de pièce complémentaire: un documentaire focalisé sur les polices. Malheureusement pour lui, il a très vite compris que les choses qu'il avait apprises hors caméra ne seraient pas possible à obtenir face caméra. Du coup, il a pris ces informations et les a mélangées avec le livre auto-biographique d'un ex membre du BOPE (la police militaire d'élite anti-gang qui livre littéralement une guerre urbaine dans les favelas).

Le film, narré par un lieutenant du BOPE particulièrement réac' suit ce dernier ainsi que deux aspirants policers, qui passent de la police traditionnelle et son hallucinant niveau de corruption au BOPE et son hallucinant niveau de fascisme. Toute la force du film est de parvenir dans un écrin de cinéma d'entertainment, d'action, à dépeindre une situation particulièrement complexe de compromission à tous les niveaux. Fataliste, le film montre comment une des seules figures positives (un intellectuel noir d'origine modeste qui fait des études de droit en parallèle de sa carrière dans la police) fini elle aussi par être corrompue par le système et la vision réductrice du BOPE.

La faillite du film, c'est d'oublier que le spectateur lambda se met toujours du côté des justiciers, même si on tente de les dépeindre de la façon la plus glauque possible (cf. Rorschach dans Watchmen). Au grand damn de Padilha, l'énorme succès public de son film a donné naissance à une vague de sympathie pour le BOPE... ça a du lui faire plus chier que de se faire traiter de facho par la critique française.


Laurent () a dit:
Ouh que j'aimerais bien voir cela! Pourvu que ça sorte!!!


Frederico () a dit:
Le film a la particularité d'avoir été hyper piraté au Brésil avant même sa sortie en salle au point qu'ils ont hésité à le sortir (ils ont mandaté un institut de sondage qui a estimé que 11 millions de brésiliens avaient déjà vu le film - soit qqch comme le double du plus gros blockbuster brésilien récent). Du coup j'imagine que ça ne doit pas être très dur à trouver sur les chemins de traverse.

In fine, ils ont sorti le film au Brésil où il à fait un carton. En France par contre ce fut un flop, donc inutile de croire à une sortie romande, à moins que le film ait tappé dans l'oeil d'un distributeur à Fribourg.


Laurent () a dit:
Ah ah ah !!!!

ZINEMA FOREVER!!!!!


Laurent () a dit:
Passionnant.

Par rapport au commentaire de Fred: le film n'est absolument pas une critique du “fascisme hallucinant” du BOPE!!! Si tel était le propos du cinéaste, il est complètement passé à côté de la plaque, et pas à cause de la tendance du spectateur actioner à s'identifier aux membres du commando: le film lui-même pose explicitement une rhétorique en faveur du commando aux méthodes expéditives!

TDE développe en effet, soigneusement, point par point, fort habilement et de manière très originale au sein de la production de film politique, un discours de droite dure: la police est critiquée avant tout pour la corruption exceptionnelle qui la ronge; l'équipe du BOPE est à cet égard clairement présentée comme une alternative uniquement animée par le souci de justice (certes, ses entraînements sont facho, son recours à la torture odieux, mais toujours justifié et équilibré - on relâche les guetteurs innocents et on exécute sommairement les salopards). Leur activité est montrée comme nuisant à leur vie sentimentale (on perd sa famille, la possibilité d'une vie amoureuse) mais parce qu'il s'agit là d'un sacerdoce nécessaire pour retrouver une forme salutaire de pureté.

Preuve de la prégnance ce discours de droite (c'est de loin le point fort du film ): la représentation des étudiants et des humanitaires, abreuvés de Michel Foucault, soft on crime, naïfs, bêtement anti-policiers, fumeurs de joints, et qui finissent par se compromettre avec les pires des assassins (dont ils finissent par être les victimes, d'ailleurs). Je n'ai jamais vu, dans aucun film, un discours aussi anti-gauchiste! Bravo pour cette originalité!

Au vu du film, il n'y a rien, mais vraiment rien, qui puisse étayer l'idée selon laquelle ce film stigmatiserait les dérives fascistes du BOPE. Le parcours du jeune étudiant Noir est édifiant, lui, qui comprend progressivement l'hypocrisie de son milieu intellectuel d'adoption, au fil d'une progression logique et émotionnelle implacable!



Frederico () a dit:
Cette lecture me semble assez étonnante. La seule figure présentée comme positive dans tout le film est l'aspirant noir. Il est celui qui est à l'intersection de tous les groupes sociaux, ce qui lui permet d'être le seul à pouvoir poser un jugement nuancé sur la situation, à avoir une vue d'ensemble que n'ont ni les étudiants ni les policiers et encore moins les membres du BOPE.

Le "problème" du film c'est que c'est un drame. Donc non, point ici de méchant facho du BOPE puni par le scénario ou ayant une épiphanie lui faisant réaliser qu'il est vraiment pas cool. Pas de gentil étudiant qui constate que sa consommation récréative de cannabis finance la guerre des gangs, pas plus que de policier qui trouve une solution miracle pour faire disparaître la corruption dans son corps de métier. Ici, même l'intellectuel cosmopolite sorti de la favella fini par se faire happer par la violence ambiante et brain-washer par le BOPE et ses pratiques para-militaires.


Laurent () a dit:
Ah j'attendais ton commentaire, puisque mon message n'était au fond qu'une réponse à ta propre analyse.

Que ce film est intéressant pour le dialogue!!!

Pour moi, à la fin, le fait que le jeune héros rejoigne l'idéologie du BOPE en faisant la morale à ses co-étudiants “fils de riches fumeurs de joints” ne me semble pas être DU TOUT condamné par le film. Qu'est-ce qui appuie cette vision? Le BOPE est montré comme certes violent, mais nullement brain-washer, puisqu'il apparaît nettement comme la seule alternative possible à la fois à la dérive de la corruption, à la tolérante mollesse des élites intellectuelles, et à la violence hallucinante des criminels…

Même en admettant qu'au final, le film renvoie tout le monde dos à dos, OK, on ne peut tout de même pas voir dans ce film ce que tu sous-entendais dans ton premier message, à savoir une critique radicale des méthodes employées par le commando.Pas une fois n'est remise en question - contrairement aux patrons de la police corrompue, aux naïfs universitaires, à la lie gangster - la noblesse de ses dirigeants, l'efficacité de son travail, la sincérité de sa démarche - il y a même l'exposé d'un problème de conscience lorsque les scumbags des quartiers liquident une jeune sentinelle, à cause d'une intervention des policiers!). D'ailleurs, tu oublies, me semble-t-il, que le centre focal du film (voix off) n'est pas seulement le jeune aspirant noir, mais aussi le commandant qui doit se trouver un successeur et prône la rencontre idéale de l'intellectuel qui réfléchit et de l'homme d'action qui sait prendre des décisions). Seule critique vis-à-vis du BOPE : il faut savoir faire le sacrifice de sa vie privée et sentimentale quand on se lance dans la voie de la justice (cf destin amoureux foireux des deux principaux mâles au centre du film).