Film: Pride and Glory

Frederico () a dit:
Si le film n'était que la belle exécution d'un film policier lambda jouant sur la double famille du sang et de la corporation, j'aurais mis deux étoiles, mais je pousse à trois pour le final qui intègre de façon originale et, me semble-t-il, inédite, la vindicte populaire.


Jean-Luc () a dit:
Encore une bonne surprise des rattrapages dvd, un film policier sombre, qui ne brille pas par l'originalité de son propos (famille et corruption) mais par l'intensité dramatique et l'épaisseur des personnages, très bien interprétés par Ed Norton, Noah Emmerich et oui par... Colin Farrel.


Vincent () a dit:
Esthétiquement, des aspects extrêmement intéressants. J'ai été particulièrement frappé par la dimension sonore du film, que ce soit dans l'usage général du son over ou de la musique (bonne musique, et bon usage parfois décalé – cf. le "duel" final entre Norton et Farrel sur fond de musique pseudofolklorique irlandaise). Tout à fait d'accord également avec Jean-Luc quant au jeu des acteurs, jusqu'à celui du Veau irlandais de service.
En revanche, je suis étonné que personne ici n'ait été choqué voire révolté par le "fond" de cette œuvre, très réac. Règle numéro un: toujours se méfier d'une œuvre qui contient dans son titre le mot "pride" ou le mot "glory", et encore plus lorsque l'intrigue se passe dans le milieu policier. Pis encore avec une histoire de famille et de tradition.
Regardons qui sont les pourris dans l'histoire (je passe sur les truands latinos, hi hi): deux flics latino-américains, un Blanc moustachu débile qui couche avec une Asiatique, et un Irlandais d'origine, qui ne fait partie de la belle et noble famille des héros que par alliance. Ouf, l'honneur du sang est sauf, ce n'est QUE le beau-frère qui est un salaud véritable, pas la vénérable lignée de flics droits dans leurs bottes. Car eux sont construits comme des êtres sensibles, déchirés, affectés dans leur chair (balafre de Norton) et dans leur âme (divorce, agonie de la conjointe), ce qui, comble du comble, excuse in fine le comportement éthiquement problématique de l'aîné... Pis encore, cette configuration – qui réduit, une fois encore, des enjeux sociaux et politiques fondamentaux à une dynamique strictement familiale – écrase complètement la problématique de la corruption, de la "raison d'Etat", etc. Il y a des bons fils et des mauvais (beau-)fils, voilà la morale.
Ce manichéisme est dans ce cas très choquant. Suivant le genre de l'œuvre, celui-ci peut tout à fait être acceptable (les gentils vs les méchants); ici, il ne l'est pas, car le film PRETEND à un réalisme psychologique, voire à un réalisme social, il prétend représenter la complexité, la contradiction, le mille-feuilles du réel... pour ne faire que réaffirmer les valeurs traditionnelles et non complexes de la famille, du clan, des bons wasp qui ont tout compris à la vie. Et ça, excusez-moi, mais beurk.



Frederico () a dit:
Je ne suis pas d'accord avec cette lecture.

Le personnage de Norton n'est justement pas le bon fils. Il est "l'outsider" qui est marié à une métisse et parle espagnole. Il est celui dont le monde s'écroule quand il accepte la compromission corporatiste et familiale. Le voilà sur une voie de garage, à bord d'un bateau qui prend l'eau, blessé dans sa chaire et mis à distance par sa femme qui ne le reconnaît plus. Le film est justement la reconquête, la réaffirmation de son identité et la destruction du cercle vicieux. Il se construit contre la famille au patriarche alcoolique prêt à étouffer toutes les affaires et au fils aîné qui trempe dans la merde en se bouchant le nez et en fermant les yeux. Où est l'honneur du sang?

Et la dynamique est-elle strictement familiale? Au contraire, c'est peut-être la première fois que l'on voit les victimes de la corruption policière littéralement s'insurger contre une injustice devenue insupportable.




Laurent () a dit:
merci pour votre intéressant débat, les gars…


Vincent () a dit:
... suis pas sûr que 10 minutes d'émeute tout à la fin du film suffisent à donner à celui-ci une véritable ampleur sociopolitique... et les dernières paroles de Farrel renvoient à la famille. Aucun "discours" véritable sur le système de la corruption, sur la corruption COMME système.
D'accord pour dire que le personnage de Ray est, au début du moins, l'outsider. Mais il est vite réintégré: son père vient le chercher dans les toilettes pour qu'il soit à nouveau dans le rang, pour qu'il corresponde à nouveau à l'image que lui se fait de son fils (tu as des qualités qui ne sont pas exploitées là où tu croupis aux personnes disparues, bla bla, cf. encore la scène du repas de famille) – et que fait-il? il accepte, il fait partie de la "task force". Et il fait tout pour protéger son frère et son père, certes tout en cherchant à garder ses valeurs et ne pas répéter le mensonge qui le poursuit. Mais la vraie rébellion contre le modèle familial et patriarcal n'aurait-il pas été d'envoyer péter son papounet? d'envoyer bouler la pride et la glory? on peut se le demander...
Ensuite, bien sûr qu'il y a un conflit entre le father – qui pense "honneur" de la police et de la famille et qui est prêt à lui sacrifier la vérité et la justice – et le fiston – qui croit à des valeurs morales irréductibles à de tels enjeux personnels. Mais précisément, le conflit est entre le père et le fils, un conflit de famille, qui, je crois, empêche structurellement de faire de cette opposition une véritable opposition éthique, c'est-à-dire politique.
Enfin, j'enfonce le clou: ce qui m'a fondamentalement dérangé, c'est le manichéisme du film, qui d'un côté dote les gentils d'une sensibilité, d'une histoire, d'une profondeur tragique (inéluctabilité de la mort, injustice de la maladie, ou de l'amour toujours là mais impossible à vivre) et de l'autre représente les méchants comme des salauds sans véritable conscience. On va me dire: eh, le Farrel, il chiale et il casse un miroir quand il voit que ses collègues ont été descendus; eh, le Sandy, il se loge une balle dans le caisson tant c'est dur à supporter de ne plus avoir la pride et la glory qui vont avec le badge; eh, le Farrel again, il a quand même les foies quand le jeune loup mafieux il vient chez lui le menacer. Certes, certes... Toutefois, en termes de construction de personnages, ce ne sont là que des esquisses, qui plus est contrebalancées par des scènes d'une violence et d'une cruauté inouïes qui font de ces quatre personnages de ripoux des bourreaux 100% pur boeuf. C'est sans commune mesure avec ce que le film s'ingénie à faire pour les deux frangins qui sont du bon côté de la force, quand bien même ils flirtent avec le mal. Avec un tel dispositif, le système des personnages oppose d'un côté des humains (avec leur part d'ombre, leurs "forces" et leurs "faiblesses"), et de l'autre des brutes sans âme, ou à peine, et qui se rachètent une conduite en lançant "Tu lui diras que je l'aime". Ouèèèèèèè.......
Pour conclure, je rappelle que ce film est très intéressant d'un point de vue esthétique; c'est un bel objet. En revanche, il y a un problème sur le "fond", pour autant qu'il soit possible de dissocier cela de la forme. Disons que c'est un de ces faux bons films sur une thématique sociale ou politique brûlante: il prétend travailler en profondeur, il prétend porter un discours nuancé sur une problématique, mais reconduit en fait des schémas très réactionnaires, comme ça, l'air de rien. Et c'est tout.