Film: The Spirit

Charles-Antoine () a dit:
Je m'accorde dans les grandes lignes avec Vincent, c'est le film le plus radiophonique de l'année, avec une oscillation permanente entre un premier degré plutôt dénué d'intérêt et une ironie qui confine parfois au burlesque (la scène de chute, au demeurant assez réussie), mâtiné d'autoréflexivité (le plagiat du début de Batman pour la première séquence, les références à Elektra, à Robin, etc.).

En fait, en lieu et place d'un film bien foutu, qui prendrait les codes de son genre au sérieux, subsiste une enfilade de saynètes assez peu convaincantes dont l'unique intérêt réside dans leurs qualités plastiques voire théâtrales. Et je ne parle pas ici du cabotinage, pour une fois, vraiment pénible de Samuel L. Jackson, qui rend chacune des scènes dans lesquelles il apparaît à la limite du soutenable. Enfin, il y a la bonne idée du film (de la BD?): aborder la question du superhéros sur le mode plus élémentaire possible, c'est-à-dire en résumant ses pouvoirs à celui, public, de son "invulnérabilité", accompagné de celui, privé, de sa capacité de séduction des femmes (pouvoir qui lui sauve la mise tout au long du film, du reste). Donc, c’est plutôt superéros, le Spirit, non ?!?

Je ne connais pratiquement rien de l'œuvre d'Eisner, sinon son roman graphique Le Complot, sur les protocoles des sages de Sion, mais il me semble que le film est, au plan de la mise en image, résolument marqué par la patte de l'adaptation de Miller (aplanissement de l'espace, insistance sur les contrastes en ombres chinoises, sur la surdécomposition de l’action, etc.). Mais je place ma remarque sous l'autorité des spécialistes, évidemment!


Laurent () a dit:
Décidément, l'expérimentation est de mise en ces derniers feux de 2008; après le déconcertant Il Divo, c'est The Spirit qui nous entraîne loin des horizons d'attente conventionnels. Impossible en effet de juger cette œuvre à partir des modes d'interprétation usuels : si tel est le cas, le constat est sans appel: ce film est en effet stupide, vulgaire, bavard et ennuyeux, aucun doute là-dessus.

Reconnaissons pourtant les nombreux mérites du film: d'abord il évite les ressorts éculés bloquebastérisant auxquels nous ont habitué les autres incursions, plus ou moins (volontairement ou inconsciemment) sérieuses, dans le monde des super-héros. Miller déjoue également, c'est plus cruel de sa part, l'attente suscitée par son hommage annoncé à Will Eisner: l'univers de ce dernier est réduit à de bien discrètes et fragmentaires allusions (le large chapeau mou d'Octopus, la prolifération obsessionnelle des figures féminines, une belle bagarre ultradynamique - celle du début, autour de l'étang). On est loin de l'orgie de mouvement et de postures expressives que la rencontre entre les deux Maîtres devait légitimement produire. Miller convoque ici plutôt les grandes lignes de son propre système esthétique (en gros celui posé cinématographiquement dans Sin City). C'est très cohérent et convaincant, mais sans innovation réelle face au landmark co-réalisé avec Rodriguez.

Pas de séquences d'action, pas de courses-poursuites virevoltantes: The Spirit prend le risque d'emprunter des chemins arty, d'une part par le traitement tautologique des dialogues omniprésents (scansion et litanie aux limites de l'écœurement; répétition systématique d'une phrase sur deux qui pointe la dimension poético-argotique de l'ensemble - signalons au passage les épouvantables traductions françaises du slang gangster des Forties); d'autre part en conduisant une sarabande grotesque (dé)cousue de signes d'altérité freaky, ceux que déploie la nemesis de service (savant fou; japonais sadique; nazi; russe…) et qui renvoient à la tradition iconographique américaine du Mal façon WWII et suivantes… Le fait de placer dos à dos le héros et le méchant, ici deux facettes d'une même matrice scientifique, donc artificielle, et la volonté pathétique de ces personnages de la culture de masse de s'élever, sans y parvenir réellement, à la dimension mythologique d'un Hercule, me paraissent offrir, au-delà de leur côté “foutage de gueule“ assez grossier, une lecture originale, nuancée et relativiste de tout le fatras US autour des superhéros, des villains et de leurs fonctions respectives dans l'imaginaire contemporain.

La revendication constante d'une certaine théâtralité est une autre surprise que nous réserve le film, si loin, une fois encore, du délire cinétique annoncé en principe par la formation de l'axe Eisner-Miller: rideaux, lumières, et apparitions délirantes construisent par moments une représentation quasi-happening très seventies qui oscille entre le mauvais goût volontaire de Ken Russell et la préciosité d'un Werner Schroeter, voire d'un Guy Maddin période Archangel.

Au fond, un ouvrage assez réjouissant que ce Spirit bordélique, Soupault en aurait fait dans son froc! Ma Ville Hurle! Et les quelques prestations désopilantes de la (toujours) pimpante Scarlett Johansson, en assistante sadique du Dr Octopus (qui relègue Mendès, bien piètre comédienne, en fad-ass de service), finissent de nous convaincre qu'il y a là vraiment matière à s'amuser, tous ensemble!






Vincent () a dit:
Après 20 minutes plutôt bien foutues, ça s'enlise. Le pire étant que le Spirit, dans une de ses répliques, met exactement le doigt là où ça fait mal: Get to the point, I'm boring to death!...
En résumé, pour un film censé être une révélation visuelle, c'est HYPERVERBEUX! Peu de séquences sortent du lot, trouvé-je, on s'enferre dans des dialogues longs longs longs qui ne sont même pas bien écrits, avec champ/contre-champ de rigueur. Surtout, le ton du film oscille de façon permanente entre sérieux trop premier degré (au point qu'on frise la caricature, notamment dans le jeu des acteurs) et dérision aussi trop premier degré, ce qui fait qu'on n'accroche pas du tout à l'objet.
Je laisse aux fins connaisseurs de l'œuvre de Will Eisner me dire dans quelle mesure tout ça rend compte de l'univers de la BD (ou non). Idem pour les fins connaisseurs de l'univers de Frank Miller.