Film: Australia

Laurent () a dit:
La note fait la moyenne: un pour à peu près tout, quatre pour l'actrice, et on arrondit…

Dès le début, tout nous rappelle que nous sommes prisonniers, pour près de trois heures, de l'imagination bornée et des turpitudes (anti)esthétiques de l'un des pires débiles dont l'histoire du cinéma ait accouché: Baz Luhrman, c'est-à-dire la version queer et fashion de Luc Besson. Difficile, en effet, de ne pas songer à cet autre «maître» contemporain face à cet étalage décomplexé du maniérisme postmoderniste le plus déconcertant (étrange suture Leono-Marlboro-Spielbergo-BagdadCaféique). D'autant que, comme le Français, tout cela vise l'édification politique et morale à fond messianique, d'où un lyrisme en souffrance permanente, victime de l'absence complète d'unité narrative, esthétique, plastique, etc.

Certes, il y a une belle réflexion sur l'espace et les points de vue à faire à partir du souci, manifesté tout au long du métrage, de multiplier les angles de vision sur un même lieu, notamment depuis des espaces surélevés qui redoublent les plans de grue et d'hélicoptère à la Peter Jackson (qui aurait dû d'ailleurs réaliser le film, tiens!): tour de contrôle du grand capitaliste véreux, citerne, montagne, etc. Mais jamais le cinéaste n'utilise cette bonne idée pour apporter un peu de nerf à sa dramaturgie: on voit tout, en même temps, depuis tous les points de vue. Absurde. Il n'y a par conséquent jamais de tension ni de surprise possible (à une géniale mais malheureusement très brève exception près, à la fin… où l'on utilise brillamment une restriction de la focalisation) Et ce problème se déploie à une échelle narrative plus large: en l'absence de réel narrateur cohérent, après une entame limite mongoloïde mais plutôt drôle et sympathique (soyons bon public, on en a pour trois heures!) et, plus étonnant de la part de Luhrman, une impressionnante séquence d'action en stampede (ici les points de vue mobiles sont formidablement utilisés - contrairement à l'attaque des Japs sur Darwin qui fait regretter le déchaînement hystérique, mais respectueux du public, de Pearl Harbor), tout le récit se disloque lentement, devient graduellement niais, lénifiant et ennuyeux.

Dommage pour les interprètes, en particulier l'actrice vedette, décidément au sommet de son art, mais dont les performances exceptionnelles tendent, ces derniers temps, à être recouvertes du même glacis standardisé propre au bloque-bastère des familles. Même heurté par des choix hasardeux de découpage, le jeu de l'impériale Nicole Kidman trouve ici l'une de ses plus phénoménales actualisations, développant toute l'étendue de sa formidable palette expressive: sourcils inquiets, moues d'exaspération, regards furieux, démarche nerveuse, tout cela culminant dans une interprétation d'anthologie (et sincèrement hilarante!) de «Somewhere Over the Rainbow». Les infamantes remarques sur les conséquences supposément désastreuses des retouches de chirurgie plastique sur les nuances de son jeu se voient ici complètement battues en brèche. Certes, l'absence de ride ne favorise en principe pas les subtilités du travail facial, mais elle permet par contre le déploiement optimal d'un masque - au sens presque concret, pourrait-on affirmer non sans une cruelle ironie - qui glisse d'une attitude dynamique à une autre avec une grande souplesse et un sens très aigu de la continuité. Bref, si Kidman s'affirme indéniablement comme la Kate Hepburn d'aujourd'hui (impossible de ne pas penser à African Queen dans l'opposition assez amusante qui se joue initialement entre la snob et le rustre, malheureusement trop rapidement avortée, alors qu'elle aurait dû structurer tout le film), il ne lui manque malheureusement qu'un Capra ou un Stevens, ou, dans la même sensibilité fag que Baz, un Cukor ou un Minnelli!

Luhrman se réfère pourtant directement au cinéma classique hollywoodien, via l'intertexte, creusé sur presque tout le film - saluons cette rare donc admirable persévérance - , avec… (Dieu, que ça fait cinéphilie à la “Empire“!) The Wizard of Oz (d'une lecture de journal au film projeté dans la ville, en passant par le devenir-leitmotiv de la mélodie, dans et hors de la diégèse, conformément à la grande tradition postromantique exploitée dans les belles années du mélodrame et du film noir). L'idée n'est pas mal, au fond, et apporte une nuance de modernité (Oz, c'est la culture de masse!) au discours passéiste faux-derche du film, énième revendication millénariste de l'archaïsme magique et mystique, ainsi que de la noblesse originelle du sage Primitif face au salaud de Colonisateur. Bien sûr, il y a de magnifiques subtilités dans le profil des héros, cet homme qui partage la couche des Noirs, cette femme qui remet en question ses valeurs élitaires, et, surtout, cet enfant métis, fils d'à peu près tout le monde, qui est le fruit emblématique des contradictions propres à l'expérience coloniale. Mais toutes ces singularités, passionnantes, sont in fine déjouées par une imbrication sommaire, une rhétorique sirupeuse et par une conclusion à valeur de sanction, où le gosse rejoint l'espace exclusivement aborigène du vieux sorcier (ses «racines nécessaires», nous dit Drover), comme pour se purifier de sa propre abomination (il est le fils du mauvais colon, un ennemi de la nature, unilatéralement mauvais et sommairement exécuté à la fin - en opposition à l'aristocrate morale et le père fondateur respectueux, prêts à rejouer, politico-correctement sauce 2000 cette fois, le mythe pastoral). Sans le vouloir, le film rejoint ainsi presque le discours raciste du prêtre qui cherche à mettre en quarantaine les enfants bâtards. Je me réjouis d'entendre les opinions à ce sujet de nos spécialistes maison de l'identité et des mythologies.

Dans le même genre de discours, New World ou Pathfinder assument jusqu'au bout le métissage, et si Luhrman traîne ici, de location en location, un pauvre vieux type pour évoquer le regard omniprésent des forces archaïques, ce motif récurrent renvoie plus à une sorte de fantastique grotesque (involontairement) lynchien qu'à une présence spectrale et détachée des origines mythiques, telle que l'a par exemple travaillée Oliver Stone (ah, les aigles de U-Turn et d'Alexandre).















Vincent (pas vu) a dit:
Heu, Lolo, Besson est également "queer et fashion"... t'as pas vu sa coupe peroxydée et ses T-shirts XXL mauves?