Film: The Day The Earth Stood Still

Frederico () a dit:
Je crois que le film souffre principalement du grand écart qu'il essaie d'opérer entre un film de SF à 90% verbal et les exigences de spectacle et de dynamisme d'un blockbuster (on emploie des artifices pour déplacer Klaatu, les militaires qui font mumuse et GORT qui détruit le monde), mais aussi ses exigences thématiques (la cellule familiale, toujours et encore).

Assez beau et avec une tension palpable dans la première partie, la quantité de bullshit finit tout de même par atteindre puis dépasser la masse critique, ce qui brise la suspension of disbelief (au passage, pourquoi les militaires sont-ils toujours des débiles mentaux?).

Contrairement à vous, j'aime plutôt toute la scène avec John Cleese, malgré la tarte à la crème de Bach (mais, pourquoi pas?) et la faiblesse dialectique de l'échange (les exigences du blockbuster, encore, ou simplement les limites des auteurs). Mais la rencontre par le langage universel des mathématiques, puis l'idée d'une discussion pour sauver le monde me plaisent bien même si, in fine, c'est l'émotion qui, une fois de plus, emporte les débats. Un séquence émotion qui, malgré l'aspect clichetonneux et artificiel (le cimetière "best of") ainsi que le rôle particulièrement antipathique du gamin, fonctionne encore assez bien (il y a une raison pour laquelle les clichés sont des clichés).

Il aurait mieux fallût faire un remake sur le mode "B friqué" plutôt que "blockbuster", car il y a des traces qui laissent à penser qu'il y avait peut-être moyen de faire un beau film avec ce matériel. Personnellement j'aurais même signé pour un B fauché fait de 80 minutes d'interrogatoire d'un Reeves au masque de marbre.

PS: Je crois qu'il ne faut pas trop lire dans le passage du chinois à l'anglais dans la discussion avec l'agent dormant. Le chinois est juste là comme une tentative supplémentaire de montrer que le monde ne se limite pas aux Etats-Unis. Le passage à l'anglais pour la partie "émotionelle" du dialogue, n'est à mon avis pas un jeu sur les connotations, mais simplement le fruit de l'inquiétude du réalisateur / producteur que l'émotion ne passe pas bien, ou même pas du tout, via des sous-titres.


Laurent () a dit:
Après un début contemplatif, qui prend le temps de dérouler avec une belle lenteur son univers, on se fait atrocement chier, il faut malheureusement l'admettre, tant l'alignement de stéréotypes familiaux et de petits problèmes individuels viennent progressivement ruiner le discours relativiste et froid que pose en principe tout récit classique d'invasion alien. Même Jennifer, idole de notre jeunesse cinéphilique (elle avait notre âge et jouait chez Leone, Argento…) et devenue trop rare sur les écrans, a l'air comme asséchée… pour sa part, Keanu est plutôt convaincant : jouer le corps humain aliéné, c'est le rôle de sa vie…

Je rejoins l'analyse de Fred: l'alternance forcée avec des moments blockbuster (l'automaton géant) rend le film encore plus incohérent au plan esthétique.

Quant à ce que dit Vincent, je suis d'accord aussi, le film renvoie à la tradition iconographique qui valorise l'attitude pacifique des scientifiques face aux extraterrestres, contrairement à celle de militaires-va-en-guerre (The Abyss et non pas Aliens, quoi). L'équipe multi-ethnique de savants experts fait d'ailleurs penser au cabinet Obama, alors que le dispositif de contrôle paranoïaque et belliqueux renvoie évidemment aux efforts supposément vains des années Bush…

Par contre, sur l'articulation entre petite histoire individuelle et enjeux collectifs, je suis certes d'accord avec Vincent, notre spécialiste des contes et légendes, sur le fond (cette articulation est, effectivement, incroyablement mal fichue, naïve, pénible, etc…), mais on pourrait tout de même justifier l'insistance du film sur les liens personnels, dans la mesure où il s'agit de démontrer que «l'amour inconditionnel» est bien ce qui singularise l'espèce humaine et la sauve in extremis de la destruction globale. C'est la leçon que reçoit Klaatu en quelque sorte. Et qu'avait déjà amorcée la scène avec le Chinois…

Quant à Cloverfield, c'est autre chose: le film est une trajectoire désespérée face à une menace qui emporte tout (il n'y a donc aucune revendication d'une articulation possible entre les deux niveaux individuel et collectif) : incapable de se projeter plus haut, de faire quoi que ce soit pour empêcher la destruction de l'univers, le héros (à échelle humaine, véritablement) sauve son amoureuse, mais pour mourir finalement avec elle… Sublime! De suite, je vais remonter d'une étoile!

Le pont doit effectivement être le même dans les deux films. Ou l'un des mêmes qui jalonne(nt) Central Park: il apparaît par exemple au début d'une comédie avec Claudia Cardinale et Rock Hudson que j'ai vue récemment (Blindfold, 1965). Plus récemment, on l'a vu dans le thriller de revanche féministe avec Jodie Foster (c'est là qu'elle se fait violenter et que son mec se fait assassiner); au début de Birth (avec Nicole), c'est là où le jogger, époux de l'héroïne, meurt d'une crise cardiaque - splendide séquence d'ailleurs, revécue traumatiquement par la protagoniste qui se rend encore sur les lieux au cours du film… Il me semble avoir souvent aperçu cet endroit dans des films autour de Central Park (Woody Allen?) - je dois d'ailleurs y être passé moi-même…

Après petite recherche: il y a quarante de ces ponts:
http://www.forgotten-ny.com/STREET%20SCENES/arches/arches.html

Mais je suis sûr qu'un malade a fait un site sur les images cinématographiques de ces ponts…

NDFred: J'ajoute dans la liste des scènes la bastonnade de Norton par ses amis dans la 25ème heure de Spike Lee.


Vincent () a dit:
Tellement plat que ça ne mérite même pas un rond noir, contrairement à "Cloverfield" et sa prétention formelle sans objet.

Ces deux films témoignent il me semble d'un infléchissement inquiétant du film-catastrophe du genre épique (la catastrophe, c'est quand même un des éléments qui permettent au mieux de mettre en scène la geste de la communauté, putain) au genre... quoi? psychologique-sentimental? Je n'arrive pas à ledéfinir, probablement parce que cet objet filmique manque de "définition", de forme précisément. Toujours est-il que l'épique est complètement négligé au profit de la trajectoire "individuelle", ici celle du tandem belle-maman méritante/beau-fils rebelle. Notez que le genre épique passe souvent par la représentation de la geste d'un individu: Gilgamesh, Achille, Enée, Lancelot, and so on... Mais le rapport entre processus individuel et processus global ou social est établi en fonction du second: fondation ou sauvegarde ou destruction d'un Etat/d'une communauté, accès à un objet déterminant pour l'univers (le Graal ou autre symbole), etc.

Dans le genre film-catastrophe ou film-avec-aliens – type "Independence Day", "Armageddon", "Mars attacks", "War of the worlds" –, ce rapport était encore respecté (quoique, pour "War of the worlds"...). Dans "Cloverfield" ou "The Day the Earth stood still", rien de tout cela. Le premier cité reste en fait dans sa logique initiale, propre d'ailleurs à son support médiatique, id est la vidéo captant des instants de la vie privée, individuelle. Bien qu'on cherche à nous faire croire que soudain on change de mode et qu'on passe à un mode "documentaire de ce qui concerne tout le monde", il n'en est rien, puisque le parcours des personnages à travers le chaos global n'est motivé que par un enjeu personnel basique (retrouver et sauver la chérie). Dans le second, c'est pire encore... alors même que cette fois la narration se veut "omnisciente" ou en tout cas potentiellement panoptique (ocularisation zéro, mais restriction de focalisation, parfois). Pas sûr qu'il soit nécessaire d'énumérer toutes les séquences navrantes du film...

A retenir encore que "The Day..." partage avec "Cloverfield" son cadre new-yorkais, et encore plus précisément Central Park... d'ailleurs je me demande si le pont sous lequel Klaattu, Helen et Jacob se réfugient n'est pas le même que celui où le couple principal de "Cloverfield" termine son parcours... Avec mêmes images de bombardements massifs du centre-ville...

Autre film en point de mire: "Encounter of the third kind", bien sûr. Mais là, la gestion du suspense était autrement mieux foutue, avec même une montée quasi psychédélique lorsque les cinq notes (quoi? ré mi do do sol?) se répètent sur fond stroboscopique...

Encore deux ajouts brefs pour la route, en termes de représentation sociale: la discussion entre aliens, qui démarre en chinois (l'idiome du nouvel Autre menaçant?) et qui, soudain, switche en anglais au moment même où l'ancêtre ridé évoque son attachement pour les humains (le Soi, le Même rassurant); et, pour les spécialistes ès sciences folles et dangereuses, à remarquer une nette revalorisation des scientifiques de tous ordres, ouverts sur le monde et ses mystères, face aux figures de la politique et de l'armée, enfermés dans une logique "hobbesienne" pourrait-on dire de défense/attaque, où il n'est question que de bouffer ou de se faire bouffer par la civilisation autre.

PS: par rapport à ce que suggère Laurent, bien sûr que la scène "émouvante" dans le cimetière est importante, car elle est censée représenter la facette positive, empathique de l'humain. Le problème, c'est que ce n'est pas véritablement articulé avec la trame globale qui concerne le collectif. Comme je l'ai dit, le genre épique, fondamentalement, représente la geste collective à travers une geste ou des gestes individuelle(s), mais selon la perspective d'un rapport mutuel que le texte (ou le film) construit. En gros, pour que ça marche, "The Day..." aurait du multiplier de telles scènes, afin qu'elles se chargent d'une valeur exemplaire réelle. Ici, c'est juste balancé, complètement au hasard. Surtout, cette absence de construction d'un rapport entre l'individuel et le collectif crée un effet bizarre, qui est que toute la grosse machine catastrophe semble avoir été montée uniquement pour résoudre le conflit belle-mère/beau-fils... qui apparait ainsi comme le vrai noeud du récit. L'histoire du collectif est rejetée comme arrière-plan, ce qui est un comble!...