Opérant (ou plutôt n'opérant pas) la synthèse entre deux des derniers films de Richet (d'une part, De l'Amour ou la narrativisation “à l'américaine” d'un bel univers marxisto-rap miteux banlieusard frouze; de l'autre un solide remake pétaradant du Precinct 13 de Carpenter), ce MESRINE: Part One (j'ai le «Faites Entrez l'Accusé», si vous voulez connaître la vraie histoire) est un vrai foutoir inégal, entre lyrisme romantique à la Claire Denis (somptueux bal d'été en Espagne étiré en travellings croisés ; scènes de bar à putes); relecture branchée du polizziesco façon Sergio Martino mais en mode arty (waow ce putain de putain de générique Beltrami-scoré en moumoutes afro et split screen désynchronisé-relativiste qui me hante déjà, si seulement le deuxième film était de temps à autre de ce goût esthétique-là!); biopic décousu de mafieux sous-scorcésien avec petites vignettes de violence malsaine et grandes enjambées elliptiques (les personnages sont fort heureusement débarrassés de toute véritable construction psychologique, la trajectoire incompréhensible du gangster se résumant dès lors au constat de contradictions comportementales jamais formulées explicitement) ; grand écart entre revisite de la tradition Melville et son foirage-reformulation non assumée en néo-Tontons d'Audiard (grâce à la performance hénaurme du très reconnaissable Gérard Depardieu); souci inconstant d'une certaine discursivité politique (en particulier tout ce qui renvoie à l'Algérie, bien vu même si pas toujours bien foutu, sans oublier la “critique“ - trop sardonique pour être sérieuse - des brimades carcérales québécoises filmées au grand angulaire, souvenez-vous de Seconds) ; enfin, dans l'évocation de l'épisode nord-américain, l'œuvre se transcende enfin en actioner double gras avec jeep, grenades, mitrailleuses et … Roy Dupuis (!), terrain idéal pour lancer un shoot-out d'anthologie en treillis devant la prison, du jamais revu depuis au moins American Ninja - souvenez-vous de Cannon Films!
Bref, il y a un peu tout et n'importe quoi là-dedans, y compris, sur un mode émaillé mais assez lourd pour qu'on ne puisse pas le rater, un commentaire bien masculiniste sur la virilité défaillante d'après-guerre. Et si on est loin de la synergie esthétique et politique d'Etat des Lieux et Ma 6-T, le caractère excessivement épique (donc forcément raté si l'on commet l'erreur épistémologique d'y chercher l'harmonie et la cohérence) de ce film bordélique force le respect et fait rêver (en gros, du jamais vu dans le cinéma français) … vivement la suite (d'autant que, pour une fois, Ludivine Sagnier a l'air classieuse, relookée seventies…)
J'oubliais: Vincent Cassel… Une performance de haut vol. Ses esquisses de sourire, sa voix grommellante, ses regards vitreux et cruels… il a trouvé le rôle de sa vie! On se réjouit, une fois encore, de le retrouver dans la deuxième partie, dans la peau de l'«Homme aux mille visages».
PS Réponse à Fred sur les Mémoires de Mesrine: effectivement, tous les biographes s'accordent sur le fait que le livre L'Instinct de mort est truffé d'inventions… mais elles ne vont pas toutes dans le sens d'une caricature (effectivement pénible) des adversaires du bandit: Mesrine se rend plus salaud qu'il n'était: il n'a en réalité tué personne en Algérie, ni massacré de proxénète, ni commis de braquage spectaculaire avec sa femme: tous ces éléments visaient à renforcer la stature politique et mythologique du malfrat somme toute minable qu'était l'homme avant son séjour décisif en Amérique du Nord.
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