Film: There Will Be Blood

Frederico () a dit:
C'est assez barge même si je ne suis pas entièrement emballé et pas certain de vraiment comprendre ce qu'on me raconte.

Reste la question éternelle: si on prend un morceau de Arvo Pärt pour une séquence dans un film et qu'il en résulte une séquence qui tue sa race, c'est grâce à la synergie des deux que c'est bien, ou c'est Arvo Pärt qui fait tout le boulot?


Charles-Antoine () a dit:
Difficile de restituer tout le plaisir que j'ai pris à la vision de ce film captivant, magnétique, toujours juste dans sa description de la quête obsessionnel de son protagoniste, un homme ultra-individualiste à la recherche des fluides (pétroliers, sanguins) en vue de leur canalisation vers la mer (difficile de ne pas penser à Sweeny Todd). Obsession qui fait écho à sa volonté de refouler toute forme de lien communautaire (familial, les villageois, les dévots), hormis la famille qu'il se construit dans un souci d'apparence.

Je ne sais pas pour vous, mais j'associe le titre du film à ce déterminisme: celui de l'impossibilité d'échapper à la communauté (there will always be Blood...), de réconcilier le héros hors-la-loi (Plainview - homme solitaire des plaines sauvages) et le héros officiel (Elie - a lie/un mensonge - acteur, homme de l'urbain et de l'illusion). Seulement, comme la dernière image le montre, cette victoire sur le mensonge est illusoire, il y a toujours du sang...

Enfin, outre son utilisation de la musique, sa quasi indifférence à la parole humaine, ses longs plans, ses transitions entre la lumières et l'obscurité, le film mène une réflexion assez passionnante sur le rapport entre argent et religion, ciel et terre, verticalité et horizontalité...


Jean-Luc () a dit:
Malgré quelques réticences, je pousse à quatre pour l'ambition et l'ampleur.


Laurent () a dit:
Les grands films américains sont épiques et parlent de l'édification de l'Amérique, de Birth of A Nation aux récents New World et Gangs of New York, en passant par Heaven's Gate ou Days of Heaven… There will Be Blood s'ajoute indéniablement à cette liste de chefs d'œuvre tout en évacuant l'idée d'une grande fresque historique au profit d'une seule trajectoire humaine; et tout en refusant les procédés lyriques habituels (Eisler et Adorno auraient effectivement applaudi l'utilisation de la musique dans ce film - outre l'habituel Arvo Pärt et un petit Brahms tout joyeux, infectement naïf mais superbement intégré au film, le score original procède d'une rencontre jamais opérée auparavant, n'en déplaise à Phil Glass, entre le minimalisme symphonique US et son cinéma - une utilisation unique dans le cinéma hollywoodien, jamais emphatique mais jamais véritablement critique non plus). Cette musique colle en définitive au point de vue distant que construit le film sur cet étrange individualiste, figure d'un libéralisme authentique en butte constante aux forces négatives de l'Amérique (dévots comme grands capitalistes), et qui triomphe finalement dans le pétrole et dans le sang de tous ces fameux «autres» sur la nature infernale desquels Rimbaud nous avait déjà avertis.

Stylistiquement, on paraît certes chasser ici sur les terres malickiennes, et on parvient à dégager une incroyable impression de matérialité (les décors de Jack Fisk, obsessionnel de l'authenticité jusque dans le choix des bois et des métaux, possèdent décidément quelque chose de concret qui traverse l'écran - voir son précédent travail sur… The New World).

Mais la comparaison avec Malick s'arrête là: outre quelques brèves séquences de montage où l'on voit le héros mettre en branle son dispositif humain et machinique (l'arrivée de nuit de son team alors qu'il tient un discours aux habitants; l'étude du terrain avec son “frère”… etc.), le film repose presque exclusivement sur un rythme lent basé sur le recours fréquent aux plans longs et larges (qui exploitent toute l'horizontalité du format scope et que prolongent de troublants mouvements sur cet axe “humain” s'opposant à la verticalité des outils de forage), se concentre sur son protagoniste (jusque que dans d'étranges maintiens du hors champ lorsqu'on s'adresse à lui), et se préoccupe somme toute assez peu de la parole (même si le monstre phénoménal capté de bout en bout de ce film lâche quelques belles intonations sourdes et des lines d'anthologie - notamment l'extraordinaire : «There's a pipeline…» !).

Bref, je suis troublé par tant de cohérence, d'intelligence, d'originalité, de puissance expressive…