Film: Adèle Blanc-Sec

Laurent () a dit:
On aurait voulu mettre trois étoiles, tant il y a de belles choses réjouissantes dans ce film allègre, sympathique, gonflé aussi, pour un blockbuster presque totalement dénué d'action, sans pour autant renier sa scansion quasi-métrique, une structure solide et une mise en images puissante, constamment articulée autour du gros plan burlesque (Besson - qui n'est au fond bon que dans la fantaisie et l'humour, c'est-à-dire pas souvent dans une «œuvre» assez misérable dans l'ensemble - s'y montre un maître de l'alignement des visages dans le cadre), et une vision de Paris 1900 très cohérente. Outre des acteurs qui parviennent pour la plupart à exister sous leur grimage, l'un des points forts est l'ancrage généralisé dans la gouaille parisienne, avec force jeux entre les mots (toutes les transitions entre séquences). Bref le tout dépasse le maître Jeunet, par son absence de moralisme ou de bon sentiment.

Malheureusement, trop de passages, surtout à partir du milieu du film, flanchent grave au plan de l'humour, et l'arrivée plus marquée des SFX numériques (vol en ptérodactyle, momies) fait que la production se départit beaucoup de son charme incroyable, de sa beauté traditionaliste, au profit d'un imaginaire certes plus «moderne» mais qui se rapproche paradoxalement de la niaiserie de synthèse et d'animation pour petits et grands qu'on arrête pas de nous servir ces derniers temps.

Super scène de tennis féminin, à part ça! Trois étoiles quand même? J'hésite…

Surtout que la suite, d'ores et déjà, fait très envie (la fin relance avec beaucoup de force la machine).


Jean-Luc () a dit:
Que SVC aille voir un Besson, c'est déjà improbable, qu'il le trouve sympathique, on est en pleine science-fiction!


Charles-Antoine () a dit:
Deux étoiles, c'est bien payé pour une sympathique première partie, drôle, véloce et engageante, qui se trouve pour partie minée par le manque complet d'enjeux et l'infantilisme de la seconde.

Reste cette idée intéressante, évidente chez Besson, de l'héroïne clivée entre un corps héroïque, toujours dans l'action et indifférent aux relations amoureuses, et un corps sensible, rendu catatonique par le phallus du premier. Quel beau jeu de substitution à la fin, qui donne tout son sens à la quête d'Adèle (la Pucelle...)


Laurent () a dit:
«l'infantilisme de la seconde»

Niais peut-être, couillon et fleur bleue certainement, mais infantile je ne suis pas d'accord!

Ce qui est beau dans le film, c'est l'annihilation des rapports sociaux «hérités» au profit de rencontres et de conflits horizontaux (il y a aussi, mais c'est moins clair, une remise en question des rapports de pouvoir verticaux, constamment tournés en bourrique et que la figure de la «projection à terre» ou remise à l'horizontale, qu'affectionne Adèle, illustre à la perfection.

D'ailleurs, la toute fin est assez vache sur le seul lien familial qu'a conservé l'héroïne…

Non, pas trop infantile, même avec un vol sur ptérodactyle (relation médiatisée par «mon truc en plumes», trop classe, surtout en regard de la débilissime über-connection naïve homme-dragon qu'on trouve dans l'odieux Smurfs) et une momie qui parle (qui avoue avoir maté Adèle à poil…)






Charles-Antoine () a dit:
Oui, "infantile" est sans doute un peu fort, mais ce qu'il y a d'irritant dans cette seconde partie, c'est au fond une propension de plus en plus accablante de la part du film, mais surtout de ceux qui l'ont fait, à croire que ses effets spéciaux sont si ahurissants, si "formidables" qu'ils peuvent se substituer au plaisir narratif. De ce point de vue, le film me semble trahir de plus en plus la fascination qu'il exerce sur lui-même (comme la plupart des productions à SFX françaises d'ailleurs). Ce qui est d'autant plus risible quand on se rend compte qu'il pastiche complètement la fin de "Night at the Museum 2"...

Mais dans ce registre, je pense moins au vol merveilleux d'Adèle qu'à la clic égyptienne du père Ramsès, qui, en dépit de son côté en apparence gamin, renvoie à un patriarcat certes anachronique et poussiéreux, mais dans le fond sage et bienveillant.


Laurent () a dit:
J'ai oublié de préciser que les SFX sont immondes, même pour un ennemi du «bien fait» comme moi: la fin du vol en ptéro, par exemple…

La «French Touch», my ass!


Vincent () a dit:
... comme CAC, j'avoue que le dernier tiers, plus "larmoyant", m'a fait un peu décrocher du film... Je ne sais pas si c'est infantile... plutôt inintéressant, par rapport au personnage qu'est censée être Adèle Blanc-Sec, une héroïne qui fait preuve toujours d'un peu d'ironie, de distance, qui survole ses aventures avec souvent l'air de ne pas y toucher, et surtout, dans la BD de Tardi, le premier opus, qui tout d'abord utilise la panique créée par le ptérodactyle pour ses propres fins... elle en bref un poil amorale (pas immorale) dans la BD, et c'est ainsi qu'elle apparaît plus ou moins dans les deux premiers tiers du film.
D'accord aussi pour dire que Ramsès et sa cour, on s'en tape un peu. D'autant plus que ça ramène la magie dans l'histoire, alors que, là encore, Adèle est une sorte de Sherlock Holmes au féminin (ou plutôt une Rouletabille, pour rester dans le domaine français, et elle est journaliste, comme le héros de Leroux), qui ne croit pas tellement au merveilleux – si ce n'est un merveilleux scientifique (la parascience d'Espérandieu et des autres scientifiques).


Frederico () a dit:
C'est marrant mais cette reconstitution tout en caricature et la répartie du personnage principal, son phrasé, certaines tournures de phrase m'a immédiatement fait penser à OSS117. Cette comparaison crée très vite un double malaise. D'une part car les dialogues du film de Besson sont beaucoup moins bien écrit et d'autre part parce que ce qui est de l'ordre de la satire dans OSS117 est ici au premier degré. On est sensé rire DE Hubert Bonisseur de la Bath mais AVEC Adèle Blanc-Sec. Ainsi, la relation paternaliste et coloniale avec le guide égyptien, soulignée par l'emploi répété de son prénom ("Tu vois, Aziz, l'argent ne fait pas toujours le bonheur") serait drôle chez Hazanavicius, mais met mal à l'aise chez Besson. Comme l'arabe devient aussi la langue internationale des animaux et qu'on engage des acteurs d'origine nord africaines pour jouer les sales métèques mais des français et un nordique pour jouer les momies, ça devient franchement gênant.

Et en plus le match de tennis est sur terre battue! Anachronisme total!

Une étoile quand même pour quelques bons gags de raccord, Rouve en grand chasseur et un sosie énergique de Hélène de Fougerolles.


Laurent () a dit:
Pourquoi anachronisme? La terre battue est utilisée depuis la fin du 19e…
Sur le côté caricatural, c'est le grand problème de Besson : il ne se rend pas compte qu'il possède une vraie veine comique (lourde, jamais brillante, mais gesticulatoire, triviale, superficielle, en un mot grotesque - contrairement à OSS117, dont le détachement joue sur une toute autre tradition, forme de platitude revendiquée, distanciation intellectuelle, connivence intelligente avec le spectateur) d'où, certainement, l'impression de décalage. Repensons à son autre “bon film“ (pour Besson, ça veut dire supportable et même capable d'arracher un demi-sourire ici et là) à mon goût, Le Cinquième Element, que j'avais trouvé assez réussi en tant que bas alignement débilissime de tout ce qui avait été un peu avancé dans le champ SF cinéma et que lui envisageait, dans ses entretiens, comme un vrai positionnement réflexif.

En fait, ton analyse est très juste : Adèle vue par Besson c'est vraiment, basiquement, l'humour colonial prétentieux assumant son caractère grotesque, donc aussi le personnage d'OSS117… tel qu'il se perçoit dans sa diégèse. Sauf que les films d'OSS117 mettent justement ce dernier personnage à distance pour faire rire.




Frederico () a dit:
Comme quoi il faut toujours multiplier les sources, car en furetant rapidement sur l'interweb je m'étais convaincu qu'en 1911 il y avait 99% de chance qu'elles jouent sur gazon, mais là en cherchant encore je vois qu'avant la création du site de Roland Garros en fin des années 20, tous les différents tournois qui sont considérés comme les ancêtres du tournoi que l'on connait aujourd'hui se déroulaient sur terre battue (à l'exception d'un tournoi sur sable avec fond de gravier!).

Enfin... pour le style "on est bourge et on pratique ce nouveau sport à la mode", le gazon ça aurait été mieux. Mais à la fois, pour le tennis, la terre c'est la marque franchouillarde...


Laurent () a dit:
Les concepteurs visuels du film se sont visiblement inspirés des images restées des championnats de Saint-Cloud, ancêtre de Roland Garros créé en 1880 et quelque et qui se déroulait sur terre, comme la plupart des tournois en France en effet.