Film: Agora

Charles-Antoine () a dit:
Tout l'opposé de Tetro: un film assez gauche dans sa maîtrise du rythme narratif, avec des maladresses et des moments de candeur, mais jouissif dans ses résonances résolument féministes et l'affichage de son admiration pour la science et les prémisses de la relativité.


Laurent () a dit:
La belle idée de ce péplum signé Amenabar, c’est de s’ancrer dans l’Antiquité tardive (Alexandrie, dans les années où la tradition culturelle et philosophique gréco-romaine cède le pas au monothéisme chrétien), et d’y camper les premiers chrétiens comme des terroristes sémites à la peau sombre, moines-soldats vêtus de capes noires, aux allures paramilitaires, intolérantes et obscurantistes (ils saccagent la Grande Bibliothèque)… histoire de renvoyer l’Eglise occidentale à sa propre histoire originelle de conquête et de violence.
Autour de la belle Rachel Weiz (y a-t-il jamais eu plus séduisant strabisme ?), en femme philosophe jouant ses Ur-Galilée, gravite une impressionnante brochette de jeunes acteurs impeccables. Avec une préférence, toutefois, chez les hommes de ce film, pour un second rôle formidable de roublardise, le fantastique Ashraf Barhom, parfait en salopard fanatique
Une fort belle mini-série pour la TV.


Frederico () a dit:
Charles, j'imagine que par relativité, tu entends relativisme?

Le film a trois grandes forces: La première est son contexte, avec ses trois religions, comme au trois âges de la vie, où chacune a sa part de vérité (au niveau politique, pas au niveau doctrinal), ses compromissions, ses ambitions, sa hiérarchie des gens et des valeurs. La seconde est cette merveilleuse ellipse au centre du film (jeu de mot volontaire du réalisateur?). En général, avec ce genre de structure, on retrouve les personnages là où on les avait laissés ou de retour dans leur position originale, mais ici tous ont changés, tous ont évolués sauf peut être Hypatie (la vérité et sa quête sont immuable) et cela rend cette deuxième exposition passionnante. La troisième est le cast: Weisz, Lonsdale...

J'aime aussi, même si c'est un poil bullshit, l'ancrage cosmique du récit avec ces plans de l'espace, ou des détails comme Hypatie quittant ses deux anciens disciples pour la dernière fois devant la louve romaine allaitant Romulus et Rémus. La représentation du débat et de la recherche scientifique est aussi pas mal, même si il reste quelque chose de très difficile que le film ne parvient pas à faire: montrer en quoi des problèmes jugés absolument triviaux de nos jours pouvaient poser des problème pratiquement insurmontables aux plus grands esprits d'alors.

Addendum pour rire, deux versions de la mort d'Hypatie (415), un par un auteur antique, l'autre par un auteur médiéval, pompé sur Wikipedia:


D'après Socrate le Scolastique, vers 440 :

« Contre elle alors s’arma la jalousie ; comme en effet elle commençait à rencontrer assez souvent Oreste, cela déclencha contre elle une calomnie chez le peuple des chrétiens, selon laquelle elle était bien celle qui empêchait des relations amicales entre Oreste et l’évêque. Et donc des hommes excités, à la tête desquels se trouvait un certain Pierre le lecteur, montent un complot contre elle et guettent Hypatie qui rentrait chez elle : la jetant hors de son siège, ils la traînent à l’église qu’on appelait le Césareum, et l’ayant dépouillée de son vêtement, ils la frappèrent à coups de tessons ; l’ayant systématiquement mise en pièces, ils chargèrent ses membres jusqu’en haut du Cinarôn et les anéantirent par le feu. Ce qui ne fut pas sans porter atteinte à l’image de Cyrille et de l’Église d’Alexandrie ; car c’était tout à fait gênant, de la part de ceux qui se réclamaient du Christ que des meurtres, des bagarres et autres actes semblables soient cautionnés par le patriarche. Et cela eut lieu la quatrième année de l’épiscopat de Cyrille, la dixième année du règne d’Honorius, la sixième du règne de Théodose, au mois de mars, pendant le Carême4. »

D'après Jean de Nikiou (Nicée), au viie siècle:

« En ces temps apparut une femme philosophe, une païenne nommée Hypatie, et elle se consacrait à plein temps à la magie [théurgie, selon Michel Tardieu], aux astrolabes et aux instruments de musique, et elle ensorcela beaucoup de gens par ses dons sataniques. Et le gouverneur de la cité l'honorait excessivement; en effet, elle l'avait ensorcelé par sa magie. Et il cessa d'aller à l'église comme c'était son habitude.... Une multitude de croyants s'assembla guidée par Pierre le magistrat – lequel était sous tous aspects un parfait croyant en Jésus-Christ – et ils entreprirent de trouver cette femme païenne qui avait ensorcelé le peuple de la cité et le préfet par ses sortilèges. Et quand ils apprirent où elle était, ils la trouvèrent assise et l'ayant arrachée à son siège, ils la trainèrent jusqu'à la grande église appelée Césarion. On était dans les jours de jeûne. Et ils déchirèrent ses vêtements et la firent traîner (derrière un char) dans les rues de la ville jusqu'à ce qu'elle mourût. Et ils la transportèrent à un endroit nommé Cinaron où ils brûlèrent son corps. Et tous les gens autour du patriarche Cyrille l'appelèrent « le nouveau Théophile », car il avait détruit les derniers restes d'idolâtrie dans la cité. »


Charles-Antoine () a dit:
Certes...


Frederico () a dit:
Le film avait un distributeur suisse qui pour finir a lâcher l'affaire et les gars du Bellevaux font venir une copie. Agora sort donc à Lausanne le 27 Octobre.