Aussi enthousiasmant qu'irritant: un film complexe, très travaillé, débordant comme d'habitude de références en tout genre (opéra évidemment, peinture, musique, cinéma, danse, photographie, etc.), avec des partis-pris assez courageux (pratiquement que des plans fixes) pour produire finalement un discours très convenu, dans la lignée éreintante des collègues du New Hollywood. Coppola doit avoir le même psy que Spielberg et il lui prodigue de toute évidence les mêmes conseils en matière de thérapie... |
S’il n’y avait ces épouvantables séquences finales de remise des prix et de retour-dépassement gnan gnan du père, entre du sous-Almodovar et Under the Cherry Moon, quel film prodigieux ! Le jeune Ehrenreich est une révélation absolue, mini-Caprio au sourire narquois immédiatement convaincant, et ses prestations interagissent parfaitement avec ses comparses post-Rusty James (nom de Dieu ce Gallo sans âge, mais quelle gueule il a dans ce film, sorte de Tarantino mais en beau meets poète Hemingway wannabe meets dandy eighties en cuir, de plus en plus merveilleusement ridicule ; et toute la bande camp qui circule autour : la belle médecin ballerine, le dramaturge travelo, la collégienne qui devient petite égérie de circonstance, la serveuse aux gros nibards, etc.) Les cadres, dès la brillante séquence d’ouverture, impressionnent par leur précision et la manière théâtrale avec laquelle ils entrent en relation avec les performances des acteurs (apparition de Gallo dans la porte ; repositionnement rapide d’Erenreich en bas des escaliers, etc.) L’intertexte médiatique, quoique tourné vers le passé, est indéniablement riche, entre ballets Coppélia en couleurs (de citations de Powell à la relecture stylisée néo-classique de l’intrigue fondamentale, sous forme de figures dansantes), théâtre d’avant-garde, concerts symphoniques, etc. Un film qui foire, indéniablement, mais qui est porté, la plupart du temps, par de très beaux et grands moments. |
Je n'ai pas été convaincu par tous les aspects, notamment le côté "Fellini" en Patagonie, mais vous savez que super vieux con reste le plus acharné des auteuristes. |
Re-vision et, quelques mois plus tard, la puissance du film s'est encore affirmée! Un classique? |
L'intrigue familiale super lourdingue (l'Inde de Darjeeling Limited est décidément bien loin de l'Argentine) plombe quand même un film au charme étrange, où la maîtrise et la beauté cèdent un peu trop régulièrement le pas à une grande laideur au parfum d'amateurisme. Je ne partage pas l'enthousiasme de Laurent pour Erenreich qui est tellement conscient de son charme qu'il se regarde jouer. A la fois, ça sert le personnage qui, en quête d'identité, joue un rôle (Don't be me, be you! Lui lance d'ailleurs Tetro/Gallo). |
«qui est tellement conscient de son charme qu'il se regarde jouer» dans un film avec Vincent Gallo et Klaus Maria Brandauer, n'est-ce pas au fond la norme? Les lignes de force de l'intrigue sont indéniablement lourdingues (la dernière phrase me donne la nausée, et, au-delà du truc du père, n'oublions pas l'histoire du texte codé - ainsi que l'imaginaire compassé de ce Buenos Aires tango-terrasse-bohémien pour arteux ricains qu'Hemingway lui-même ne pourrait cautionner. ) mais, si on parvient à surmonter cette aversion, on s'aperçoit qu'elle est au fond elle-même superficielle et paresseuse: cette trame «lourdingue», tous ce setting facilement identifiable comme ridicule (mélo quoi…), sert en réalité de base à une construction assez fascinante, tout en développements complexes et déplacements subtils. Par exemple les diverses occurrences des flashes traumatiques (il y en a combien? 5-6, presque toutes de sens et de contextes différents?) Et, même au niveau narratif, les relations sont loin d'être si lourdingues si l'on reprend les choses tranquillement : il y a l'oncle loser mais talentueux, il y a le père génial mais salopard, il y a la première mère, il y a la gamine qui devient deuxième mère, le premier fils qui devient le deuxième père, le frère et second fils qui est en fait le petit fils… ) Les personnages ne sont au fond pas vraiment caricaturaux, ou alors sont tous des sommes de caricatures conflictuelles : la compagne de Gallo, par exemple, rassemble tant d'aspects qu'elle en devient impossible: alter-ego, bonniche pour macho, danseuse, médecin, grande sœur…) Et passons sur toute la clique du théâtre : en fait, depuis combien de temps n'avait-on pas vu à l'écran une telle arborescence de personnages secondaires (même si l'axe central paraît, en effet, d'un basique crétin à pleurer…) Je n'entre pas dans le débat autour de l'esthétique (même si le N/B vidéo est ici monstrueusement travaillé dans les mouvements d'appareils, les lumières, etc…), préférant pour ma part le kitsch audacieux de ce film, update qui ne doit rien à la mode, puisqu'il semble comme essayer de revitaliser le mauvais goût arty au mieux Fassbinder-Schroeter-Schmid des seventies, au pire eighties international, bref quelque chose comme du Wenders période Bono avec, c'est pas difficile, un poil plus de culture et d'intelligence, à la lisse et homogène propreté clinique en plein dans son temps, façon magazine papier glacé de design industriel, bref quelque chose comme du Jeunet pour les élites, d'un Wes Anderson. Qui n'a, c'est vrai, absolument rien de l'amateur. |