2,5-3 un beau film. |
Un trio insolite parcourt la forêt, comme un petit escadron familial… et entre instantanément dans l'histoire du cinéma. Beaucoup de subtilité et de fluidité dans la conduite de ce récit poétique et réflexif où tout se résout en jeux de regards, de postures, et où le texte lui-même s'épure graduellement en sonorités et en rythmes. Doté d'un charme vraiment extraordinaire, ce film parvient même, dans certains de ses enchaînements, pourtant d'une telle simplicité, à provoquer un sentiment de rêverie si troublant qu'il en donne presque le vertige. Et quelle idée géniale que d'avoir placé, dans le cadre, à côté du monstre sacré en puissance qui incarne la stricte héroïne (l'intensité sévère d'un regard kidmanien dans un petit corps voluptueux), ces deux intrigantes silhouettes d'enfants britanniques : attachante ludionne rouquine à l'épaisse tignasse bouclée et grand échalas à chapeau haut de forme qui lui donne de faux airs de mini-WC Fields. PS 1 encore un film, après Strav'-Coco, qui confronte l'artiste de génie désargenté à une modiste. PS 2 Enfin, Federer a trouvé qui pourra l'incarner dans un biopic… Paul Schneider (qui joue Brown). |
Quelques fulgurances (le retour du bois sur le mode 1-2-3 Robinet coule, la découverte du retour de Keats, le montage avec la correspondance en voice over), mais sinon on ne comprend pas très bien l'intérêt d'une énième représentation clichetoneuse de l'artiste maudit et de l'amour impossible (et donc absolu et inversement et réciproquement). C'est d'autant plus étonnant qu'il a fallu faire le ménage dans la bio pour rendre ce discours possible (Isabella Jones, l'autre amour de Keats est passée à l'as et le film se clôt en sous-entendant la dévotion éternelle de Brawne alors qu'elle s'est mariée et a eu beaucoup d'enfants - selon la formule consacrée). |
«sinon on ne comprend pas très bien l'intérêt d'une énième représentation clichetoneuse de l'artiste maudit et de l'amour impossible (et donc absolu et inversement et réciproquement)» ben c'est un film sur Keats qui respecte Keats à la lettre (pas une bio narrative, mais un fantasme pseudo-biographique à partir des textes du poète, comme la représentation rare d'une réalité parallèle qui donne corps - écran plutôt - aux images-paroles poétiques - à cet égard la fidélité historique est dès lors totale et d'une rigueur inouïe). C'est une démarche qu'on peut évidemment ne pas apprécier (on peut en effet être plus ou moins sensible à cette construction plastique et au romantisme), mais qui ne paraît par contre pas très difficile à «comprendre». Cette démarche permet en principe d'annuler la validité de l'autre argument (ça s'est pas passé comme ça dans la réalité), mais, de toute façon, je rappelle que New World était une suite de bobards sans noms sur la vraie histoire de John Smith et Pocahontas… D'ailleurs, à part New World, peut-être Two Lovers s'il se terminait autrement (par le suicide), je n'ai pour ma part jamais vu un autre film incarner les idéaux romantiques de cette manière… Donc j'ai apprécié la singularité de l'objet. |
Si c'était vraiment une "Keatsization" du monde, pourquoi garder Brown qui semble bien perdu dans ce paradis? Pourquoi ne pas faire The New World justement, et styliser tout à l'extrême, pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur le fait que le sujet est le mythe, la légende et non pas l'histoire. Là, ça fait un peu hagiographie révisionniste sur fond d'ode à l'abstinence (Why don't you just bed her? demande d'ailleurs Brown en coeur avec tous les spectateurs du XXIème siècle). Je crois que je préfère ne pas comprendre pourquoi on voudrait faire une chose pareille. D'une certaine façon, la singularité du film, si singularité il y a, c'est que le dégoût mutuel affiché par Brown et Brawne n'est pas, ressort narratif classique, un mécanisme de défense contre un amour qu'on s'en veut de ressentir (et que les deux finissent par accepter: happy ending, roll credits). A la Saint Valentin, je voyais pourtant bien le film partir dans cette direction. A la place on a droit à une des scènes les plus incompréhensible qui soit (le caca nerveux dans les bois), digne des séquences de discussion du cinéma iranien dans leur propension à nous donner envie de filer des baffes aux personnages (Au travers des olivier: - Pour le film il faut la robe noire. - Mais la robe de couleur est plus jolie. - Oui mais pour le rôle il faut qu'elle soit noire la robe. - Mais je préfère la robe de couleur. - Oui mais c'est la noire dont on à besoin. *SLAP* *SLAP*). A part ça je n'ai pas détesté le film. Je l'ai même regardé jusqu'au bout et mis deux étoiles. J'ajoute aux belles séquences le choc à couper le souffle de l'annonce faite à Brawne et, à un niveau personnel, le discours de Brown sur le processus créatif (ne rien faire fait parti du travail - une vérité difficile, si ce n'est impossible, à accepter mais qui pourtant doit aider à supporter la sinon douloureuse, culpabilisante et anxiogène oisiveté, d'autant plus cruelle qu'elle est inévitable). |
Sur cette figure de Brown, force est de reconnaître le traitement assez ignoble dont il fait l'objet, puisqu'il incarne jusqu'au bout celui qui «fails» sur tous les plans, à la fois comme artiste, comme ami, comme romantique. En outre, le fait qu'il soit riche, et donc peut choisir d'être bohème, le rend encore plus spirituellement misérable face à Keats, vrai génie mais (car?) dépourvu de ressources matérielles. Tout cela est effectivement pénible (car fallacieux), mais m'apparaît justement comme assez cohérent d'un point de vue «mythologique» (le poète romantique 1800 est une sorte de réactionnaire hostile à l'argent et l'industrialisation, mais, au fond, le produit de l'exacerbation moderne du même individualisme bourgeois). Ici Brown sert donc à merveille l'opposition (certes fallacieuse, on est d'accord) avec Fanny Brawne, la matérialiste qui révèle l'absolu (Brown, c'est exactement l'inverse). Opposition dégueulasse et irrecevable en 2000? Oui. En bon marxiste light, je ne peux que me révolter contre ces idéaux romantiques hypocrites, c'est-à-dire une idéologie individualiste bourgeoise qui a honte d'elle-même. mais: 1) la forme du film travaille admirablement ce discours (l'abandon progressif de l'héroïne), d'une manière si engagée, si obstinée (justement!) qu'il finit sinon par emporter la conviction, du moins nous entraîner dans son sillage (hallucinantes déambulations… jeux de regards, d'attitudes) Mais c'est vrai, ça ne suffit pas… pour que ça m'ait plu à ce point malgré ce discours d'un autre âge, il faut bien qu'il y ait quelque chose de plus, au plan philosophique, dans celui-ci. Cf 2. 2) j'aurais certainement vomi ce film il y a quinze ans pour les raisons susmentionnées. Aujourd'hui, dans l'hyper-matérialisme ambiant (ou sa contrepartie obligée, c'est-à-dire le religieux déshumanisé et collectivisant), cette trajectoire presque suicidaire, anti-rationnelle et qui parvient à être à la fois narcissique et fondée sur l'oubli de soi, ça m'a probablement parlé d'une certaine manière… Reste la question de l'oisiveté. Si être oisif c'est avoir/prendre le temps de se cultiver et de progresser, nous sommes au contraire dans le vrai travail - ce qui est plus difficile à vivre et source de culpabilité, c'est le sentiment corrélatif possible d'inutilité et de non reconnaissance sociales, même minimales, d'où la nécessité de s'exprimer publiquement, d'une manière ou d'une autre, au moins pour se rassurer un peu - je dirais «se réchauffer» par le dialogue. Sur ce plan, la phrase de Brown est en effet très belle, mais le film (ce qui le rend encore plus détestable - en fait, c'est vrai: quelle merde quand on y réfléchit!) ne lui donne pas vraiment raison, du moins en ce qui le concerne, lui : qu'il travaille ou pas, il est nul comme poète (scène fort pénible mais bien troussée où il reconnaît toute sa vacuité de gros tâcheron face à l'élégance naturelle du phrasé génial de Keats). |
J'oubliais: il y a sans cesse l'histoire dans New World… mais c'est un autre sujet. Et, au fond, même s'il exalte, en bon romantique américain, le ballet fusionnel entre le civilisé et le naturel, il se termine sur le constat d'un échange inégal (d'un côté, la mort de Pocahontas, l'esprit indien qui s'échappe de la maison et retourne dans la forêt - de l'autre le père colon et son fils qui s'apprêtent à refonder le monde). Nulle exaltation finale de la relation amoureuse entre Smith et Pocahontas, au-delà de la dilution de celle-ci dans l'espace naturel. Sur ce plan, Two Lovers était proche, avec cette même victoire du “couple prosaïque”. Contrairement à Campion dans Bright Star (on finit givré tout seul sous la neige, voir la fin similaire de Portrait of A Lady) Jusqu'au bout, dans le néant. Ou le tout. |
Pour se remettre en mémoire l'un des passages les plus incroyables: http://www.youtube.com/watch?v=uija3NpZT6E&feature=related |
Hello les amis, Juste au passage, mes souvenirs du film ne sont plus assez bons pour prendre part à votre échange, mais j'avoue que je ne saisis pas comment la trajectoire peut être "narcissique et fondée sur l'oubli de soi", alors que l'idée clef du narcissisme est celle d'un être pour qui le monde est un miroir (un reflet sur la surface de l'eau) par l'entremise duquel il se perd dans lui-même... processus sous-tendu par une incapacité à envisager l'avenir, une inaptitude à participer au mouvement de l'histoire qui se mue en son abolition (d'où notamment la figure du suicide salvateur chez les romantiques). C'est du reste de là que vient une partie de mon affection pour Two Lovers, dont Lolo soulignait justement qu'il débouche sur un refus rationnel de tomber dans le contentement narcissique (qui marquait le début du film, avec la tentative de suicide). Alors bien sûr, c'est en grande partie par dépit que le personnage opère son choix décisif, mais il y a tout de même la volonté, inaccessible au narcissique, de se modeler sur un idéal, d'accéder à l'extériorité de son monde en émulant un comportement positif, quand bien même conventionnel... |
Mais je postule bien cette opposition entre narcissisme et oubli de soi. Relis: je dis bien «qui parvient» et «à la fois» dans la phrase: «qui parvient à être à la fois narcissique et fondée sur l'oubli de soi», dans le sens où «il parvient» à concilier deux vues totalement contraires en apparence. Un oxymore quoi. D'un côté la figure du poète est tout entièrement tournée vers elle-même: individualiste, paranoïaque, egocentrique, etc. Mouvement centripète. De l'autre, ce même poète réclame le contact immédiat, hors société, avec la nature, la divinité,ou autre réalité supérieure transcendantale… comme la femme aimée. Mouvement centrifuge. Il y a comme un paradoxe et, pourtant, le film le cerne bien (par exemple, par le biais des jeux entre la voix et le paysage) : le narcissisme du poète tourné vers la propre célébration de sa passion, dégagé des contraintes matérielles, consiste pourtant à faire l'éloge de l'abandon, de l'oubli de soi. Le suicide, c'est justement le point où se lit ce paradoxe: sommet de fermeture sur soi et en même temps négation de soi. Quant à Two Lovers, c'est à mon tour d'être surpris par la dernière idée posée supra : «volonté, inaccessible au narcissique, de se modeler sur un idéal, d'accéder à l'extériorité de son monde en émulant un comportement positif» Je vois plutôt la fin non pas comme le fait de se modeler sur un idéal (il se serait alors suicidé ou aurait poursuivi sa chimère tout seul), mais comme justement une compromission avec la réalité «extérieure» (regard glauque vers le spectateur, il réintègre le chemin tracé par son lignage, son milieu). C'est quoi l«'idéal» en l'occurrence : faire ce que disent papa-maman? |
Il peut s'agir d'un idéal suivant les cas, mais le mot en l'occurrence pour Two Lovers est en effet mal choisi, tant il connote l'idée de supériorité d'un modèle difficilement assimilable, il est vrai, à celui de "papa-maman". Ce qui semble en définitive "positif" dans sa posture finale, c'est bien la compromission qu'il accepte de faire, l'idée de composer avec une réalité qui n'est pas favorable à l'accomplissement de ses fantasmes (ceux de la société?) et qu'il ne cherche pas, au bout du compte, à la plier inexorablement à sa subjectivité. Et en cela, il renonce évidemment à la complétude narcissique de la figure de l'artiste-photographe, promis à l'éternité transcendantale... J'avais compris en fait la suggestion oximorique de ta formulation, mais je crois au fond que, pour moi, la principale gêne que j'éprouvais à l'égard du film est qu'il ne parvenait pas vraiment à suturer cette aporie. Mais il faudrait que je le revoie, mes souvenirs sont très imprécis. A part ça, l'extrait que tu as mis plus haut rappelle effectivement un film d'une beauté plastique inouïe! |
J'ai un peu triché vu que c'est la séquence mythique du film… Sur Two Lovers, la fin reste à mon avis une compromission douloureuse (le regard sombre par-dessus l'épaule de la fille qu'il n'a pas choisie…) Un échec. Même si devoir se contenter de Vinessa Shaw… Il y a des compromis moins pénibles! |
Tout à fait d'accord, cette solution (pas Vinessa, obviously) ne revêt un caractère "heureux" que sur un mode différentiel, parce qu'elle est préférée à l'alternative plus désenchantée qu'est le suicide... |